II. Soirée de la Princesse Caelia

Allongé sur le canapé, Charles lisait un livre sentimental qui parlait d'une chef d'entreprise amoureuse de son secrétaire, qui lui était déjà marié avec une autre. Le jeune homme imaginait à quel point ce devait être dur pour cette femme vis-à-vis de sa position et de l'épouse de l'homme qu'elle aimait. A la fin du chapitre sept, il posa le livre ouvert sur son visage et décida de se reposer un peu. Dans la chambre, Caelia était en compagnie de deux domestiques envoyées du château d'Aden afin de la préparer pour la soirée de ce soir où elle serait officiellement présentée aux grandes personnalités du pays et de ses alliés. Charles avait été naturellement désigné pour être le cavalier de la princesse, il était Comte après tout. Aux yeux des autres, il était un homme de noblesse et non pas son garde du corps issu d'une famille de la mafia italienne.

*Je me demande d'ailleurs la façon dont elle prendra la vérité, cela risque d'être un peu difficile je pense.*

Charles n'avait pas encore discuté de la famille Vezziano avec Caelia, il ne jugeait pas nécessaire pour l'instant de la mettre au courant. Moins elle en saurait à ce sujet, plus elle serait en sécurité. De plus, il craignait que le fait d'apprendre que ses mains étaient couvertes de sang de coupables et d'innocents ne perturbe trop la jeune femme.

II. Soirée de la Princesse Caelia Caelia

Assise devant la coiffeuse, amenée expressément pour l'apprêter, Caelia pestait intérieurement de s'être laissée convaincre d'assister à ce bal.
Tout avait été fait de sorte qu'elle ne puisse répondre que par l'affirmative. Manipulée, trompée, on avait passé sous silence que ce bal avait pour but de la présenter à tout le royaume.

Un coup du mauvais sort. Encore un depuis son arrivée, ici, à Aden.

Le soir, elle se demandait ce qu'elle avait fait au bon dieu pour que cela lui arrive. Elle avait toujours été une enfant et adolescente exemplaire.
Et bien qu'elle apprécia les livres à l'eau de rose, elle n'appréciait guère de se retrouver dans la peau d'un héroïne du XVII ème siècle.

Le seul point positif dans cette affaire, était que Charles l'accompagnerait.

"Charles ?"

Inquiète de ne rien entendre, elle voulait entendre sa voix pour se rassurer. Au fil des jours, ils avaient appris à se connaître, et s'apprécier.

Derrière elle, les domestiques s'évertuaient à la coiffer, la maquiller et à choisir sa robe.
Cela faisait plus de deux heures qu'elles s'agitaient dans la chambre, courant à droite à gauche.

*Elles vont encore longtemps s'agiter comme ça ? Je commence à être nerveuse avec elles…*

Machinalement, son pied se mit à tapoter le sol au dépit des servantes. Manière pour elle de se relaxer.

A l'écoute de son prénom, Charles ouvrit subitement les yeux et se leva du canapé d'un geste vif, laissant tomber au sol le livre qu'il avait posé sur son visage. Dès le premier jour, il avait déconseillé à Caelia de l'approcher quand il dormait mais lui avait indiqué que si elle l'appelait, il se réveillerait instantanément et c'était juste ce qui venait d'arriver. La petite sieste serait pour plus tard. Se dirigeant vers la chambre, le jeune homme ne fit aucun bruit. Il avait été éduqué de façon à ne pas faire montre de sa présence.

"Qu'y a-t-il, Caelia?"

Les domestiques sursautèrent en entendant soudainement sa voix. De l'autre côté de la porte entrebaillée, le visage de Charles était visible. Caelia n'était pas encore prête mais il pouvait voir dans le miroir de la coiffeuse qu'elle commençait à s'impatienter. Il se mit à sourire à cette constatation. Vêtue d'un élégant costume noir venant d'Italie, il était déjà prêt depuis un moment. Il aurait pu se préparer plus tard mais son métier lui avait appris à toujours se tenir prêt à la moindre occasion. Il y avait des choses contre lesquelles on ne pouvait lutter. Le naturel revenait toujours au galop malgré les efforts qu'il faisait en présence de la jeune femme.

Tapotant du bout des doigts les accoudoirs de son fauteuil, Caelia commençait réellement à désespérer. Elle savait qu'elle n'était pas jolie alors pourquoi devaient-elles s'acharner sur elle ?
Lorsque Charles entra dans la chambre, Caelia laissa échapper un petit soupir de soulagement.

"Est-ce que toute cette mascarade va encore durer longtemps?"

Elle savait qu'elle faisait sa capricieuse mais elle n'en pouvait plus. Voilà maintenant qu'on l'affublait de bigoudis et autres objets de torture.
Dépitée, elle se mit à observer son cavalier et du s'avouer qu'il avait du charme ainsi habillé.

"Dites-moi, quel genre de personnes vais-je rencontrer ?"

Elle espérait qu'en parlant sa peur partirait, et puis, elle désirait en apprendre un peu sur les personnalités importantes. Elle qui était d'une maladresse incroyable, elle sentait que la soirée serait le pire cauchemar de sa vie.

Et cela se confirma lorsqu'elle remarqua la paire de chaussures qu'on avait préparé pour elle.

Charles se mit à observer Caelia plus attentivement. Elle avait été maquillée de façon à ce que ses traits soient mis en valeur et sa coiffure commençait à se dessiner. Le jeune homme la trouvait déjà belle au naturel mais il devait avouer qu'elle était magnifique en cet instant-même. Il avait hâte de la voir dans la somptueuse robe blanche qui était étalée sur le lit.

"Cette soirée compte énormément pour votre grand-père, d'autant plus qu'il a trouvé la force d'y assister. Je doute que son corps ne tienne jusqu'au bout mais c'est déjà un bel effort. Il y aura beaucoup de gens importants, c'est très ennuyeux pour une personne qui a grandi dans une famille ordinaire mais vous ne serez pas seule. Je serai avec vous et je vais vous confier un secret : je vais m'ennuyer tout autant que vous."

Charles avait grandi dans une famille très modeste en Angleterre. Puis en Italie, il avait plus que tout évité les mondanités vénitiennes, qui n'étaient pas faites pour l'être solitaire qu'il était. Emilio l'avait pourtant poussé à se mêler au monde d'en haut comme il l'appelait mais le jeune homme ne parvenait pas à y prendre plaisir. Faisant néanmoins l'effort d'être présent, il s'efforçait toujours de cacher son ennui derrière de faux sourires enchantés.

"Quant aux personnes qui y seront, je craints de ne pouvoir vous donner davantage d'informations. Peu de temps a été donné au personnel du château pour organiser cette soirée. Je suppose qu'il y aura beaucoup de monde car vous êtes tout de même la fille de la princesse Victoria mais la liste des invités n'a pu être véritablement dressée."

Cependant, Charles n'était pas dupe. Il savait bien que ceux qui en voulaient à Caelia seraient présents eux aussi, c'était inévitable. S'il avait pu donner son opinion, il n'aurait pas laissé la princesse assister à cette soirée mais c'était un ordre du Roi et approuvé par Emilio, le chef de la famille Vezziano. Un ordre d'Emilio était absolu pour ses fils, rien ne pouvait aller à l'encontre.

Guère rassurée par ce qu'elle entendait, la jeune fille traita, à voix basse, son grand-père d'idiot. Ce qui eut pour effet d'entendre des cris d'indignation de la part des domestiques. Contrairement à ce qu'ils pouvaient penser sur l'instant, elle pestait surtout son l'était de santé de son aïeul. Qu'avait-il à se forcer en pareille circonstance. Elle ne voulait pas être la cause de fatigue du lendemain.

Pour elle, il n'était pas nécessaire de précipiter les événements sauf si bien sûr, on lui mentait sur la maladie du souverain.

"Bien…j'aurai au moins un compagnon qui pourra m'amuser un petit peu…sans que l'on s'en aperçoive."

Affichant une moue dépitée, elle s'examina quelques instants avant de reporter son regard sur Charles.
Il était dommage qu'il ne porte pas plus souvent ce genre d'accoutrement. Elle appréciait la coupe qui mettait en valeur son corps. Elle qui l'avait trouvé attirant dès le début, elle n'avait pas de mot pour décrire aujourd'hui ce qu'elle ressentait.

Il fut dommage, pensait-elle, qu'elle ne soit pas plus confiante pour oser se comporter comme toutes les filles de son âge lorsqu'elles voyaient quelqu'un qui lui plaisait.

*De toute façon, à quoi bon désirer Charles puisque je ne le reverrai plus par la suite…*

Vint le moment, où il fallait enfiler sa robe. Le comte fut renvoyé dans le salon et l'on aida la jeune fille à se mettre debout. Chancelante, elle tenta quelques pas incertain.
Être à ce point ainsi lui donnait l'impression d'être un poulain venant de naître.

Doucement, on lui enfila la robe tout en prenant soin de ne pas faire tomber la princesse. Etonnée, elle constata que la robe était parfaitement à sa taille. Celle-ci semblait avoir été faite à même son corps tant elle s'ajustait à la perfection.

La robe était d'une blancheur immaculée qui, au moindre de ses mouvements, reflétait une teinte particulière.

Mettant la main aux dernières touches, les domestiques s'activaient rapidement à la coiffer et la parer de bijoux avant de reculer pour l'examiner.

A leur silence, Caelia paniqua et se maudit d'avoir été ridicule d'accepter tout cela. Elle prit alors sur elle et avança d'un pas incertain vers le miroir. Miroir qui se trouvait près de la porte.

Ce qu'elle vit la stupéfia. Qui était donc cette personne qui apparaissait sous ses yeux ?
Elle n'arrivait pas à croire que c'était bien elle.

"Oh mon dieu…"

Sans qu'elle ne s'en aperçoive, Charles s'était retourné au son de sa voix.

Admirant Caelia, Charles fut époustouflé par la beauté de la princesse. Cette robe semblait être faite pour elle, se mariant parfaitement à son teint d'albâtre et à ses boucles ardentes. Il avait entendu plus d'une fois la jeune femme dénigrer son physique, elle ne pouvait désormais plus tenir le même discours. L'évidence était devant elle, dans le reflet de ce miroir. Caelia était magnifique, possédant toute la beauté digne d'une demoiselle de son rang. S'approchant d'elle en faisant signe aux domestique de disposer, Charles arriva silencieusement derrière elle, laissant le miroir capturer également son élégant reflet.

"Réalises-tu enfin que tu n'es pas telle que tu l'imaginais? Regarde toi, tu es Caelia, la nouvelle princesse du Royaume d'Aden, bien que tu n'aies pas encore décidé de la proposition du Roi. Que tu le veuilles ou pas, tu l'es depuis ta naissance, comme ta mère avant toi."

Le reflet du miroir démontrait que Charles et Caelia allaient très bien ensemble. Elle semblait moins à l'aise que lui mais la présence du jeune homme avait l'air de l'apaiser. Remarquant l'équilibre précaire de Caelia, il la prit par la taille avec légèreté, prêt à resserrer l'étreinte si elle venait à risquer de tomber.

"Par contre, il te faudra être prudente en marchant. Je ne pourrai pas te tenir par la taille parce-que c'est inconvenant mais tu pourras me tenir par le bras. N'aies aucune crainte, je te rattraperai quelque soit le nombre de fois que tu trébuches. Ce genre de rassemblement peut être très intimidant, notamment quand on est le centre de l'attention mais je serai là pour te soutenir, je ne te quitterai pas."

Charles parlait à Caelia en regardant en direction de leur reflet. Il avait l'intention d'être sans faille, tel était Charles Ashworth de la famille Vezziano. Il était réputé pour être l'un des meilleurs dans son domaine. Une seule personne le surpassait pour l'assassinat, il s'agissait de son frère Dimitri né en Russie et de quelques années son aîné. Tous les deux étaient différents en tout point sauf pour leur efficacité et leur amour du travail bien fait.

Refusant encore d'y croire, Caelia secoua la tête.

"Cela est faux, Charles. Tout ceci n'est dû qu'au maquillage et au fait que l'on m'ait pomponner…Puisqu'en autre temps, ton regard ne brille pas lorsque tu me regardes, contrairement à aujourd'hui…"

Choquée parce qu'elle laissa échapper, la jeune fille se traita mentalement d'idiote. Elle qui avait cru le penser, venait de commettre l'impair le plus gênant qu'il soit. Désirant se cacher de ce regard, Caelia s'arracha de Charles pour avancer vers le salon.

Tremblante sur ses "échasses", elle s'approcha d'un pas incertain vers la table pour y prendre un petit sac préparé à son intention.
Elle détestait déjà cette soirée alors qu'elle n'avait pas encore eu lieu et sentait les larmes menacer de couler. Cependant, elle ne pouvait pas se laisser aller et devait se ressaisir. Son grand-père attendait tellement d'elle qu'elle n'avait pas le cœur à le décevoir.

Venant de l'extérieur, deux faisceaux illuminèrent le salon de son désordre. Il n'avait pas fallu longtemps pour que les livres s'y entassent de nouveau. Mais maintenant, les livres de Charles n'étaient plus les seuls. Ceux de Caelia avaient également élu domicile dans le salon.

"Charles ? La voiture est arrivée…"

Sa voix semblait avoir monté dans les aigus. Elle qui se croyait si forte, semblait aujourd'hui avoir perdu toutes ses facultés. Face au stress, elle n'était rien.

Charles avait haussé les sourcils en réaction aux mots de Caelia. Ces propos ne lui ressemblaient pas, son état d'esprit devait être alors très perturbé. La laissant tituber jusqu'au salon, il la rejoint ensuite en constatant à quel point elle était stressée.

"La voiture peut attendre encore un peu."

Cherchant le regard fuyant de la princesse, Charles souleva le menton de cette dernière de ses doigts délicats pour l'observer plus attentivement. Elle était à peine maquillée et pensait que cette artifice faisait tout dans sa beauté actuelle.

*Quelle femme bornée...*

Alors qu'elle se détournait pour lui échapper à nouveau, Caelia trébucha et Charles la serra contre lui pour la rattraper. Il avait de bons réflexes et bien plus de force qu'il n'en avait l'air, d'autant plus que la princesse était très légère.

"En d'autres temps, pour reprendre tes mots, tu dissimules ta beauté, comme si tu craignais qu'on la remarque. Je pense que maintenant que j'ai l'occasion de la voir au grand jour, il est certain que mon regard en est ébloui. A présent que tu sais ce que ça peut donner, tu devrais essayer de tirer davantage parti de ta féminité si désires qu'une personne en particulier te remarque. Je suis sûr qu'il ne pourra voir que toi."

Tenant encore Caelia contre son torse, il la libéra enfin, supposant qu'elle devait être désormais très gênée.

Tremblante, Caelia se forçait pour rester droite sur ses jambes, alors qu'elles ne demandaient qu'à lâcher. Elle qui avait rêvé d'être tenue ainsi contre lui, n'arrivait pas à s'en remettre et encore moins à ce qu'elle venait d'entendre.
Comment pouvait-il dire cela sans la moindre honte. Et bien que cela la touchait, elle restait persuadée qu'il disait cela pour la rassurer. Elle savait ce que son miroir lui renvoyait, jour après jour.

"Pourquoi…devrai-je tirer parti de ma féminité ? Cela ne servirait à rien, Charles.
Si une personne désire me connaître et plus encore, à être séduit par mon charme, il devra faire avec ce qu'il y a. C'est-à-dire, rien que ce je suis en temps normal. Le physique n'est pas une chose sur lequel il faut s'attarder…"

Tristement, elle lui fit face mais dardait son regard sur un point qui était au dessus de l'épaule du jeune comte.

"Avec le temps, tout cela disparaît…comme une fleur, on flétrit. Les artifices ne sont là que pour nous voiler la vue. Et c'est ce qui se passe aujourd'hui. Tu es ébloui par une image qui n'est pas moi comme tout ceux qui seront présents au bal."

La jeune fille avait toujours été incertaine lorsqu'il était question de son corps. Pour elle, les cosmétiques avaient autant de mystère que des runes anciennes sur un temple. Elle n'arrivait pas à faire concorder les teintes avec sa peau et avait souvent détesté ses taches de rousseur et sa peau d'albâtre. D'un coté, elle avait envié ses amies puis avec le temps, elle avait conclu qu'elle avait de la chance de ne pas être dépendante de la beauté.

"Nous devrions vraiment y aller. Je n'aimerai pas que le Roi nous attende…"

Le Roi. Une habitude qu'elle n'arrivait pas à se défaire bien que lorsqu'elle se retrouvait seule et qu'elle pensait à lui, elle l'appelait "Grand-père".

Charles laissa Caelia se dénigrer sans avoir l'impolitesse de l'interrompre. Il estimait qu'elle était dans le droit le plus légitime d'avoir confiance en elle mais elle semblait se retenir, comme si elle avait peur de paraître prétentieuse ou narcissique. Il n'avait pas l'habitude de rencontrer ce genre de femme car celles de la famille Vezziano étaient absolument tout le contraire de la princesse. Elles étaient sûres d'elles, séductrices et arrogantes. Toutes dotées d'une grande beauté qu'elles entretenaient précieusement, elles restaient toujours à l'affût d'un homme qui les prendrait pour épouse. Bien-sûr, Charles avait été une cible de choix pour elles mais ce genre de femmes ne l'intéressait pas beaucoup. Il les préférait plus douces et plus modestes avec elles-mêmes.

"C'est donc une discussion à laquelle nous pouvons mettre un terme pour aujourd'hui."

Dirigeant son regard perçant vers la fenêtre, Charles fit prendre une toute autre expression à son visage. La douceur qu'il gardait pour Caelia disparut pour laisser place à un visage fermé et sérieux. D'un geste élégant, il sortit son révolver de sa veste noire.

"Je n'ai pas demandé de voiture. Pour des raisons de sécurité, j'avais prévu de conduire moi-même jusqu'au château."

Caelia avait l'occasion de voir l'expression que prenait Charles lorsqu'il était en mode travail. La dernière fois qu'elle avait pu le voir ainsi, c'était le jour de leur rencontre, lorsqu'ils s'étaient fait attaquer en voiture. Concentré, il faisait ralentir sa respiration et son rythme cardiaque afin de garder son sang-froid et son regard se faisait transperçant. Quant on toqua à la porte, il pointa son arme vers la porte et rapprocha la princesse de lui afin de pouvoir servir de bouclier au besoin.

"C'est moi, Bill! J'espère que tu n'as pas l'intention de tirer sur moi, Charles!"

De l'autre côté de la porte se trouvait une personne dont Charles reconnaissait la voix. Il s'agissait de l'un de ses frères, William, né en Angleterre tout comme lui. La porte s'ouvrit et un adolescent entra dans la maison, les mains levés au-dessus de sa tête. Il avait les cheveux bruns et portait des lunettes devant ses yeux noirs fatigués. Il avait l'air d'avoir dans la quinzaine d'années. Charles se demanda si toute la famille Vezziano avait l'intention de venir lui rendre visite pour le déranger dans son travail.

Lorsqu'elle eut enfin terminé sa tirade, Caelia poussa un petit soupir. Quoi qu'en penserait Charles, les dés étaient lancés. Elle avait dit ce qu'elle avait sur le cœur et apparemment, cela n'avait guère de lui de l'effet puisqu'il se contenta d'un "discussion close". Mais qu'entendait-il pour "aujourd'hui" ? Allait-il y revenir dans les jours à venir ? Si cela était le cas, elle pourrait s'armer de mouchoirs et aspirines. Ce sujet était particulièrement douloureux pour elle, et sentait déjà ses tempes battrent. La migraine n'était pas loin.

La jeune fille leva ses yeux vers Charles et put remarquer le net changement d'attitude de celui-ci. Elle l'avait déjà vu avec cette expression. Cette expression qu'il avait face au danger.
Cette expression qui mettait son cerveau en ébullition. Qui était-il vraiment ? Il n'était pas un simple comte comme il se plaisait à lui répéter.

Secouant ses boucles ardentes, Caelia se rapprocha quelque peu de Charles par curiosité avant d'être tiré plus près de lui.
D'une voix étranglée, elle se murmura pour elle-même.

"Vous n'avez vraiment pas confiance en personne…"

Et lorsque la porte s'ouvrit qu'elle ne fut pas son étonnement de voir apparaître un adolescent à l'allure fatiguée. Intriguée, elle se décala d'un pas pour l'examiner de bas en haut. Celui-ci lui donnait l'impression étrange de faire partie de la même famille de Charles.

"Qui est-ce ?"

Une main se posa sur l'épaule de Charles pour lui faire descendre son arme. Le danger semblait écarté et pourtant, il ne se détendait pas.

Bien que leur visiteur n'était autre que William, le membre le plus pacifiste de la famille, Charles ne se détendait pas. Il avait toujours à l'esprit les paroles de Miguel à propos de la méfiance qu'il devait adopter désormais envers les siens. Il avait baissé son arme mais restait néanmoins prêt à agir bien que les chances que William les attaque étaient presque nulles.

"William. Il fait partie de ma famille au même titre que Miguel que tu as rencontré la semaine dernière."

L'adolescent adressa un sourire candide à la princesse en gardant toujours ses mains levées au-dessus de lui.

"Enchanté, princesse. Je suis venu sécuriser tout l'électronique de la maison avant de ne plus en avoir l'occasion. J'aurais dû te prévenir, Charles, mais j'ai préféré ne pas le faire.
-Qu'est-ce que tu entends pas là?
-Disons qu'il se passe des choses pas joli-joli à Venise. J'ai d'ailleurs l'intention d'aller m'exiler quelque part si ça continue comme ça. Les bains de sang, c'est pas mon truc."

Charles soupira, William aurait pu s'abstenir de parler de bain de sang. Il avait toujours tendance à exagérer lorsqu'il s'agissait de conflits et de violence.

"Caelia, tu pourras librement discuter avec ton père via internet maintenant. Tu n'auras plus à te contenter du téléphone. William est un expert en informatique malgré son jeune âge."

Cependant, Charles restait inquiet à propos de ce que l'adolescent avait dit. Que voulait-il dire par avant de ne plus en avoir l'occasion? Il avait besoin de le savoir mais il ne voulait pas à avoir ce genre de conversation devant Caelia. Il ne tenait pas à l'effrayer.

"Je peux baisser les bras maintenant? Je vais avoir des crampes sinon.
-Nous partons au château, auras-tu terminé à notre retour?
-Evidemment. Au fait, il y avait un homme dans une voiture. Je l'ai assommé avec mon tazer, il va se réveiller si vous ne vous dépêchez pas."

William était le seul de la famille à ne pas posséder d'arme à feu. Répugné par la vue du sang, il avait opté pour l'électricité. Malgré ses pauvres compétences physiques, il restait néanmoins un membre de la famille Vezziano. Il savait quand une personne représentait une menace ou pas et agissait en conséquence.

"Allons-y, Caelia. A un de ces jours, William.
-A plus!"

Charles tendit son bras à la princesse pour l'aider à marcher jusqu'à la voiture. La Ferrari noire semblable à une passoire avait été remplacée par une nouvelle flambant neuve. Miguel n'avait pas pu s'en empêcher, il n'avait pu se résoudre à laisser son ami rouler dans un gruyère et avait fait livrer ce véhicule seulement quelques jours après sa visite.

Silencieuse, elle écoutait attentivement la discussion qui se déroulait entre les deux jeunes hommes. Par cela, elle glanait quelques infos qui lui donnaient l'impression d'être encore plus dans le brouillard et elle détestait cette sensation.

Pourquoi diable ne lui disait-il pas la vérité sur sa famille ? Une idée commençait à germer dans son esprit mais cela lui semblait tellement impossible, qu'elle la repoussa instantanément. Jamais elle n'oserait faire ça.

Lorsqu'enfin la conversation fut terminée, elle se mit en route tout en essayant de suivre Charles avec le plus de dignité possible. Ce qui n'était guère facile à cause du petit gravier qui menait jusqu'à la voiture.
Avant d'entrer dans le véhicule, elle jeta un regard vers la voiture stationnée non loin d'eux.

"Charles ?"

La voiture démarra en trombe et roulait à toute vitesse vers le palais. Le jeune homme n'avait toujours pas retrouvé son état normal.

"Charles ?"

Enfin celui-ci daigna sortir de ses songes.

"Est-ce que tu vas bien ?"

La princesse s'inquiétait bien plus pour Charles que pour elle.

Charles décida de s'arrêter un instant sur le bord de la route. Freinant en douceur, il stoppa la voiture après un panneau qui indiquait que le château se trouvait à une dizaine de kilomètres. Il faisait presque nuit et la route n'était pas éclairée mais l'intérieur de la voiture l'était donc les deux jeunes gens n'étaient pas plongés dans le noir.

"Je suis navré, j'ai omis de baisser ma garde, ce doit être inconfortable pour toi. Comme je te l'ai déjà dit, je n'ai pas l'habitude de protéger quelqu'un donc il m'arrive d'oublier que je ne suis pas seul."

Remarquant le regard inquiet de Caelia, Charles la fixa de ses yeux bruns dorés, hésitant. Avec ce qu'elle avait entendu de la bouche de William, elle devait probablement se poser des questions sur la véritable activité de cette drôle de famille.

"Caelia... Est-ce que je te faisais peur tout-à-l'heure?"

La réponse de Caelia allait déterminer s'il allait la laisser réfléchir encore d'elle-même à propos de sa famille ou s'il allait lui révéler la vérité maintenant.

La voiture arrêtée sur le bas côté, la jeune femme se permit de détacher sa ceinture. Elle ne désirait pas que sa robe ne soit plus froissée que nécessaire. Elle ne désirait pas faire honte à tous ces gens qui comptaient sur elle.

Mais cela était secondaire, c'était plus par cette habitude qu'elle avait prise durant cette semaine.
Le plus important pour elle était Charles. Elle le voyait hésiter en la regardant avant de lui demander si il lui faisait peur.
Les yeux de Caelia s'agrandirent d'étonnement avant de froncer ses sourcils.

"Pas le moindre du monde, Charles. Pourquoi devrai-je avoir peur de toi ?"

Doucement, elle posa sa main sur celle du comte qui reposait sur le frein à main.

"La seule chose qui me fasse peur, c'est que tu te retires si profondément en toi que tu oublierais que je suis là…"

La jeune fille, attendait, inquiète en se mordillant la lèvre inférieure. Pourquoi lui posait-il cette question ? Devait-elle avoir peur de lui ? Même si elle le voulait, elle n'y arrivait pas. Elle avait beau l'examiner, elle ne voyait rien de terrifiant en lui-même lorsqu'il prenait cette expression si particulière. Elle avait passé un peu plus d'une semaine avec lui et trouvait cet être aussi agréable que possible. Mais était-ce sa véritable personnalité ?

Charles observa Caelia d'un regard interrogateur. Ses propos l'avaient surpris et il ne comprenait pas de quelle façon il devait les prendre. Lui qui avait l'habitude d'aller droit au but, il ne saisissait pas vraiment quand les gens avaient tendance à tourner autour du pot.

"Pourquoi cela te fait-il peur? Je ne comprends pas ce que tu veux dire."

A l'horizon, le soleil s'était déjà dissimulé derrière la chaîne alpine qui les entourait mais ses rayons illuminaient encore faiblement le ciel. Ils étaient seuls sur cette route peu fréquentée en cette heure, seuls quelques oiseaux chantaient encore dans les quelques chênes qui bordaient l'accotement.

*Si mon activité l'effraie, elle voudra s'éloigner de moi et je ne serai alors plus en mesure de la protéger correctement. Mais si je la laisse dans le trouble, elle risque de ne plus me faire confiance et c'est tout aussi important. Il est bien plus facile de tuer quelqu'un que de le protéger. Est-ce pour m'enseigner cela qu'Emilio m'a confié cette mission?*

Ses lacunes en relations sociales le faisait paraître indifférent alors qu'il ne savait tout simplement pas se comporter vis-à-vis des personnes qui lui étaient proches. Discuter au cours d'une soirée n'était qu'une formalité pour lui, il avait de la conversation, mais entretenir un lien avec une personne qu'il côtoyait quotidiennement était pour lui une autre paire de manche.

Ennuyée d'avoir encore gaffé, la jeune femme se détourna et réfléchit à comment se sortir de ce mauvais pas. Mais tout ce qui lui traversait l'esprit n'était que néant. Elle n'avait pas pour habitude de voiler ses mots. Elle avait toujours été honnête et comptait bien continuer.

"Tu me donnes juste l'impression d'être un robot quand tu te comportes comme ça. Et un robot est un être froid, qui n'a pas de sentiments, de souvenirs…"

Haussant les épaules, elle lui fit à nouveau face.

"Ce n'est qu'un simple point de vue…une question d'humanité en somme. Mais tu n'as pas répondu à ma question. Pourquoi devrai-je avoir peur de toi ?
Qu'en bien même tu serais un être venu d'ailleurs, un gangster ou encore un spectre…ma réponse sera toujours la même. Mon instinct me dit de ne pas avoir peur et rien dans ce que tu n'as fait, ne m'a fait peur…"

Le stress la reprit en voyant l'heure sur le tableau de bord et machinalement sa main qui était posée sur celle de Charles se mit à tapoter. Devait-elle feindre d'être malade pour échapper au Bal ?

De l'humanité. Charles se mit à sourire de façon un peu amère en admettant qu'il en manquait terriblement. Mais quand on avait ôté la vie d'autant de personnes, il était difficile de rester pleinement humain.

"Je te pose cette question afin de savoir si tu ne seras pas effrayé par celui que je suis vraiment. Comme tu le sais déjà, je ne suis pas vraiment Comte et je suppose que tu as dû te poser beaucoup de questions."

Sur sa main tenant le frein à main, il sentit celle de Caelia tapoter. Il se rendit alors compte que la jeune femme était nerveuse. Qui ne le serait pas à l'approche d'une soirée de cette importance? Il posa alors son autre main sur la sienne afin de l'apaiser.

"L'homme qui m'a adopté s'appelle Emilio Vezziano, et il ne l'a pas fait par amour pour les enfants. Nous, ses fils, nous travaillons tous pour lui et avons chacun notre domaine de prédilection. Celui de Miguel est l'infiltration et celui de William est l'informatique et le piratage. Quant au mien... il s'agit de l'assassinat, bien que ma mission cette fois-ci soit de te protéger. J'ai déjà tué de nombreuses personnes sans éprouver le moindre remords. Des hommes, des femmes et des enfants. Les coupables comme les innocents. Prendre une vie est aussi simple pour moi que de respirer."

Bien qu'il y avait des détails dont il aurait pu épargner à Caelia, il avait préféré rester honnête avec elle car il estimait qu'elle avait le droit de savoir qui était la personne avec qui elle vivait et à qui elle confiait sa vie.

Ne s'attendant pas vraiment à ça, Caelia haussa un sourcil tout en l'écoutant. Et peu à peu, les pièces du puzzle s'assemblaient. Et si certaines personnes auraient été choquées d'apprendre cela, pour la jeune fille, cela lui était indifférent. Il y avait toujours pire.

"D'accord. Et c'est ça que tu voulais me cacher ?"

La jeune fille pouvait comprendre alors pourquoi il avait du mal avec les relations humaines. Mais cela ne le rendait que plus agréable à ses yeux. Il avait été honnête et ferait en sorte de l'aider à se conduire en humain.

Dehors, la nuit était complètement tombée. Les étoiles pointaient peu à peu le bout de leur nez et paraît le ciel de toute sa splendeur. Tout était calme autour deux sauf peut-être le ronronnement du moteur, qui avait une douce mélodie aux oreilles de la jeune femme. Elle aurait aimé qu'ils restent là au lieu de se rendre là-bas.

"Dis…ça fait quoi de tuer une personne ? Si cela n'est pas indiscret bien sûr."

Caelia se demandait comment l'on pouvait abattre une personne même si on la savait innocente. Que s'était-il passé dans l'enfance de Charles pour qu'il puisse être à ce point dénué de tout sentiment face à cela.

Charles n'avait pas imaginé que Caelia le prenne aussi bien. Elle était d'ailleurs la seule personne à ne pas avoir eu de mouvement de recul, ni un regard de dégout ou de terreur. Même au sein de sa famille, certaines personne l'évitaient alors qu'il était en réalité quelqu'un d'agréable.

"Cela ne me fait rien. Emilio donne un ordre, je l'exécute, tout simplement. Je n'y prends ni aucun remord, ni aucun plaisir."

Il retira sa main qui était sur celle de Caelia afin de saisir le volant. Il voulait démarrer mais quelque chose avait l'air de le gêner. La réaction de la princesse continuait de le perturber. A moins que ce soit autre chose... Alors qu'il regardait droit devant lui, il tourna à nouveau la tête vers elle. Elle le regardait de ses grands yeux verts aux longs cils. La main de la jeune fille était toujours sur la sienne qui tenait le frein à main. Voulant dire quelque chose, il ouvrit la bouche puis la referma. Les mots lui manquaient. Il se mit alors à réfléchir en regardant le tableau de bord.

*Faisons le point...*

Charles se mit alors à passer en revue dans sa mémoire tout ce qu'il avait pu lire concernant le doute qu'il ressentait en cet instant-même. Il était quelqu'un de naïf concernant les relations humaines mais loin d'être idiot et il n'aimait pas tourner autour du pot. Il pouvait d'ailleurs être parfois d'une franchise déconcertante.

"Oh."

Il se retourna encore une fois vers Caelia qui l'observait d'un regard interrogateur et prit une expression tout à fait sérieuse parce-qu'il ne savait pas trop comment s'y prendre.

"Je viens de comprendre une chose. Je ne sais pas depuis quand, mais il se trouve que j'éprouve bien plus que de l'amitié pour toi. Maintenant que je viens de le réaliser, cela me laisse une drôle d'impression. C'est peut-être le fait que tu saches la vérité et que tu l'acceptes aussi bien qui me l'a fait m'en rendre compte."

Puis il se mit à parler plutôt pour lui même.

"Je me disais bien aussi qu'il y avait quelque chose d'inhabituel chez moi depuis quelques temps, quelque chose de... différent."

Charles aurait pu faire comme dans les livres et embrasser Caelia subitement mais il avait été élevé en gentleman, il aurait été très rude de sa part d'agir de la sorte bien qu'en regardant la princesse, l'envie ne lui manquait pas. C'était la première fois qu'il éprouvait ce genre de curieuse sensation. Et même s'il ne l'avouait pas, il était un peu perdu.

Complètement abasourdie par ce qu'elle venait d'entendre, sa bouche s'entrouvrit légèrement.
Elle devait sûrement rêver ou alors elle avait mal compris. Dans tous les cas, son cerveau n'arrivait pas à assimiler l'information.
Qu'était-elle sensée comprendre ? Comment devait-elle réagir ?
La seule chose de logique qu'elle fit, fut de se pincer le bras gauche.

"Aie !"

La douleur qui lançait lui fit monter les larmes aux yeux. Apparemment, elle était bien réveillée. Affolée plutôt soulagée qu'il puisse ressentir quelque chose pour elle, la jeune fille ouvrit la portière et sortit de la voiture.
La fraîcheur de la nuit la saisit, la faisant frissonner quelque peu. Pour palier à ce problème elle fit quelques pas sur le chemin.

"Oh mon dieu… Mais…Non, ce n'est pas possible ! C'est complètement IMPOSSIBLE"

De loin, on aurait pu la prendre pour une folle qui déambulait tout délirant. Les talons n'aidant pas à réfléchir ni à se tenir correctement sur ses jambes, la jeune fille fit marche arrière et rentra dans la voiture.

"Est-ce que tu pourrais répéter, Charles. Je crois que j'ai mal du comprendre..."

De ses grands yeux de biche, Caelia l'observait à nouveau, avec cette lueur d'incertitude qui grandissait à l'attente.

Quant Caelia sortit de la voiture subitement pour aller se défouler, ou quelque chose dans le genre, Charles allait descendre lui aussi afin d'assurer sa sécurité mais il n'en fit rien lorsqu'il la vit revenir, la tête sur les épaules. Il la fixait d'un air curieux, se demandant ce qui avait bien pu prendre à la jeune femme à ce moment-là.

*Peut-être n'aurais-je pas dû le lui dire...?*

Mais en ayant eu une telle réaction et en présentant un teint aussi coloré, il était peu probable qu'elle n'ait pas compris le sens de ses propos. Puisqu'elle ne semblait pas saisir ses mots, il décida de le lui faire comprendre par ses gestes. Puisqu'il lui avait révélé ce qu'il ressentait, ce n'était pas contraire au code du gentleman. C'est ainsi qu'il releva le menton de Caelia d'une de ses mains, comme il l'avait fait plus tôt dans la maison, et déposa ses lèvres sur celles de la princesse en saisissant les doigts de celle-ci de son autre main. Si elle ne comprenait pas de cette façon, il ne voyait vraiment pas ce qu'il pouvait faire. Après tout, il ne connaissait de l'amour que ce qu'il avait pu lire dans les livres et se contenta d'un doux baiser qui ne dura que quelques secondes.

Alors que Charles déposait délicatement ses lèvres sur les siennes, la jeune fille ressentit une sensation jusque là inconnue. Certes, elle avait déjà été embrassée mais jamais elle n'avait eu l'impression que son estomac était habité par des milliers de papillon. C'était si agréable, si doux, si délicat qu'elle ne voulait que jamais ne cesse ce moment. Mais il prit fin comme toutes les bonnes choses.

Croisant le regard du jeune homme en ouvrant les yeux, Caelia ne put s'empêcher de rougir.

"Oh…je pense avoir compris…"

Baissant les yeux, elle contempla leurs mains enlacées tandis que ses pensées se mélangeaient. Avait-elle le droit de ressentir quelque chose pour lui ? N'est-ce pas contraire vis-à-vis de lui ? De son grand-père ? Si elle décidait de monter sur le trône, pourrait-elle rester avec lui ? Tant de questions sans réponses qui avaient le don de mettre ses nerfs en pelote. Elle qui rêvait d'une histoire d'amour merveilleuse, d'un travail merveilleux; elle voyait ses rêves s'échapper peu à peu.

Au loin, les cloches d'Aden sonnèrent les neuf coups, annonçant par la même occasion, l'ouverture des portes du Château et son bal. Paniquée, Caelia releva vivement la tête.

"Charles…Nous allons être en retard ?!"

Comme elle trouvait cela inconvenant, elle se mit à le regarder de ses yeux brillants.

"Comme il serait mal vu d'être en retard, nous pourrions peut-être tout simplement, ne pas nous y rendre ? Toi-même, tu trouves tout cela d'un ennui mortel et moi, je tremble de peur de créer la moindre catastrophe…"

Elle savait parfaitement que Charles rirait d'elle et qu'il mettrait en marche la voiture. Tous deux avaient des devoirs à accomplir et elle savait pertinemment que le jeune homme remplirait ses fonctions à la lettre.

Charles se mit à sourire en mettant une main sur le volant et l'autre sur le frein à main. La proposition de Caelia était fort tentante mais il estimait qu'elle se devait d'y assister alors que son grand-père avait trouvé la force de pouvoir participer à cette soirée.

"Aucune heure particulière ne nous a été donnée pour arriver au château. Si nous arrivons les premiers, qui pourra contempler l'entrée de la princesse Caelia du Royaume d'Aden? Tout ce que je peux te promettre, c'est de trouver un moyen de s'éclipser le plus rapidement possible sans que ton absence ne soit dérangeante."

En remettant la voiture en route, Charles repensa au baiser qu'il avait échangé avec Caelia. Il lui avait dit ce qu'il ressentait mais elle n'avait rien dit de son côté. Si elle avait trouvé cela désagréable, elle l'aurait certainement dit.

*A-t-elle alors apprécié?*

La seule façon de le savoir était de le lui demander mais le jeune homme se demandait s'il était convenable de le faire. De plus, le fait qu'elle soit princesse ou pas ne le dérangeait guère. C'était la personne qu'était Caelia qu'il appréciait et non son titre. Une princesse et un assassin, quel drôle de couple ils feraient aux yeux des autres. Mais Charles n'était pas le genre d'homme à se soucier de ce que pensaient les autres de lui. Cependant, il n'est pas sûr que Caelia partage la même idée.

"Et toi, Caelia, que ressens-tu vis-à-vis de moi?"

Il avait posé sa question mais prenait garde à ne pas rouler vite afin de retarder le plus possible le moment où ils devraient à nouveau se vouvoyer et se traiter comme presque des inconnus.