VIII. Hall de l'école

Aiden descendit les marches quatre à quatre, manquant de chuter vilainement s'il ne s'était pas retenu à la rampe.

"Ella!"

L'appel d'Aiden résonna dans tout le Hall, faisant se retourner des élèves qui attendaient de passer le gui. Pris d'un point de côté, il avança néanmoins rapidement vers l'unique personne qu'il voyait, la seule qui importait en cet instant-même.

"Ella, attends-moi!"

Atteignant enfin son objectif, il attrapa le bras de sa jumelle, tentant de reprendre son souffle. Il devait avouer qu'il manquait d'exercice ces derniers temps. Aiden n'avait pas fière allure, endolori par un point de côté, essoufflé comme s'il avait perdu un poumon en route et une goutte de sueur coulant le long de son visage. Il n'imaginait pas avoir aussi chaud en plein hiver.

"Il faut... que je te parle... Ella."

Il avait réuni tout son courage pour lui parler avec la plus grande franchise, lui qui n'avait jamais su ouvrir son cœur avec tout ce qu'il avait vécu par le passé. Si elle refusait de l'écouter, il préférait encore trouver égoïstement la mort.

"Ce que j'ai à te dire n'a rien à voir avec cette histoire de succession."

Aiden retrouvait son souffle peu à peu mais l'effort qu'il venait de fournir était visible sur son visage, ses joues étaient empourprées ainsi que ses oreilles. Remarquant enfin que tout le monde le regardait, le jeune homme se trouva embarrassé.

"Allez donc vous amuser..."

Il tentait de les chasser gentiment mais les élèves ne bougeaient pas et l'observait avec attention, animés par le désir de connaître les derniers potins. Aiden adressa alors un regard désespéré à Mérion avec le secret espoir que ce dernier puisse faire quelque chose puisqu'il connaissait son projet.

"Je désire seulement que tu m'écoutes. Tu pourras aller faire ce que tu veux après. Accorde-moi quelques petites minutes, c'est tout ce que je demande."

Ayant échappé à l'influence du pouvoir apaisant d'Ayato, Aiden remarqua que son cœur battait à tout rompre à nouveau. Tendu et stressé comme il était, il avait même du mal à en garder l'équilibre, sentant ses jambes trembler légèrement.

Interloqué par la succession des événements, Mérion mit quelques secondes avant de réagir. Qui eut cru qu'Aiden accourrait auprès d'Ella sitôt celle-ci partie de la réunion. Pas lui, du moins, pas totalement. Et surtout pas de cette manière. Mais pour une fois, il devait admettre que son ami avait parfaitement réagi. Enfin, celui-ci se laissait guider par son cœur et non sa raison. Par cela, il se devait de l'aider.
Le jeune homme tapa alors trois fois dans ses mains et prit la parole en haussant la voix.

"Mesdemoiselles, Messieurs, le bal est sur le point de commencer. Il vous est donc demandé de rentrer le plus calmement et rapidement possible. Pour passer la porte, il suffit que les cavaliers embrassent leurs partenaires. Un simple baisemain, baiser sur la joue et pour les plus chanceux d'entre vous, sur les lèvres de votre Dulcinée. Sans cela, Notre hôte admirable, Monsieur le Gui ne vous laissera point passer."

Mais personne ne semblait vouloir partir. Il était évident que ce qu'il se passait ici était bien plus intéressant.

"Quant à ceux qui désirent rester ici, et ainsi mettre leur nez dans les affaires privées de leurs Président et Vice-Présidente pour avoir quelque chose de croustillant à raconter par la suite, sachez que le Conseil des Elèves procédera alors de la manière suivante. Toutes personnes se trouvant encore dans le hall dans les dix minutes qui suivront la fin de mon discours, se retrouveront irrémédiablement renvoyé. Aucun argument ne sera considéré comme valable."

Sur ces belles paroles, Mérion fit apparaître une horloge de taille assez conséquente. Le tic-tac des aiguilles se mit alors à résonner dans le Hall. Interdit, les élèves s'échangeaient des regards, ne sachant pas si cela était ou non une plaisanterie. Le jeune homme croisa les bras, affichant un léger sourire narquois.

"Ceci n'est nullement une plaisanterie…Vous feriez mieux de vous dépêcher…Tic Tac Tic Tac, les minutes passent…"

Comme par magie, les élèves se précipitèrent pour entrer dans la Salle de Bal.

"Et sans bousculade, je vous prie. Cela vous ralentirait…et vous ne voudriez pas cela n'est-ce pas ?!"

Mérion s'approcha alors d'Aiden, et lui posa une main compatissante sur l'épaule. Ella, de son coté, n'avait toujours pas bougé et gardait le visage fermé.

" Ella, s'il te plaît, excuse-nous trente secondes…"

Gardant Ella toujours à vue, le jeune homme entraîna le Président quelques pas plus loin. Il devait avant tout le mettre en garde, et pour cela, il baissa le son de sa voix de plusieurs décibels.

"Ecoute, je te conseille d'aller dehors, les murs ont des oreilles ici. Par contre, je te souhaite bonne chance, parce que ce ne sera pas si facile. Ella n'est pas dans son état normal. Elle…Elle a pris une potion…"

Mérion glissa discrètement la minuscule fiole qu'il avait ramassée au détour d'un couloir entre les mains de son ami.

"C'est tombé lorsque j'essayais de la rattraper. Je pense que pour toi, il n'y aura aucune difficulté à savoir ce que c'est. Donc, sois honnête avec elle, et n'abandonne pas. Et s'il te plaît, ne garde rien pour toi. Et si pour cela, tu dois la secouer comme un prunier, la prendre dans tes bras ou que sais-je encore, l'embrasser passionnément, fais-le ! Sinon, tu la perdras à tout jamais…"

Mérion s'éloigna de son ami, non sans lui avoir tapoté l'épaule en guise d'encouragement, et alla se poster, en bas des escaliers, le dos appuyé contre la rampe, les mains dans ses poches. Et suivant du regard Aiden et Ella qui s'éloignaient par la porte d'entrée, le jeune homme se mit à soupirer.

* Je n'ai plus qu'à attendre que Marina daigne de descendre. Je crois que je vais avoir droit, moi aussi à une jolie correction de sa part…*

Marina descendait les escaliers du Hall quand elle vit Mérion, seul, en train d'attendre le dos appuyé contre le mur. Elle s'arrêta une marche au-dessus de lui, fronçant les sourcils d'un air boudeur. Elle avait envie de lui pincer les joues pour lui avoir lancé des reproches un peu plus tôt au sujet de sa relation avec Ella. Au lieu de cela, elle tapota gentiment sa tête. Malgré la maturité de Mérion, leur différence d'âge lui faisait voir son camarade pas tout-à-fait comme un adulte, ni même comme un enfant. Marina l'appréciait beaucoup mais ne s'était jamais demandé à quel point. Mais heureusement qu'elle ne se prenait pas autant la tête que les jumeaux.

"Je ne changerai pas d'avis sous prétexte que ma décision déplaît à quelqu'un. J'ai choisi cette voie depuis toute petite et je ne m'en détournerai pas."

Gardant les sourcils froncés et sa moue boudeuse, Marina retenait ses sanglots autant qu'elle pouvait. Béatrice laissait en elle un grand vide qu'elle mettrait du temps à combler et sa décision lui faisait réaliser véritablement la perte de sa grande sœur. Comme Mérion le lui avait proposé en venant la chercher, Marina accepta de se laisser réconforter, le montrant par le geste de prendre son ami dans ses bras. Comme elle était située une marche plus haut que lui, il se retrouva le nez dans son cou parfumé de lys.

"Tes cheveux sont doux et ils sentent bon."

Les dix minutes étaient écoulées depuis un bon moment et le calme régnait enfin dans le grand Hall. Par acquis de conscience, Mérion avait été présenter ses excuses, pour le retard qu'ils allaient occasionner, à l'ensemble des professeurs, qui comme le voulait la tradition, attendaient l'ensemble du Conseil des Elèves pour l'ouverture du bal. Ceux-ci avaient l'obligation de danser la première danse de la soirée. Et quand cela eut été fait, le jeune homme était reparti attendre dans le Hall.

Inquiet, il se demandait comment tout cela allait finir. Cette soirée tournait décidément au vinaigre. Mais pas seulement cette soirée. L'avenir lui-même se dessinait de plus en plus sombre. Cela était récurrent et apparaissait bien trop souvent dans ses rêves pour n'être que de simple rêve. Mais ce qu'il voyait, personne ne le savait. Il espérait de tout son cœur que cela change mais à la vue des événements d'aujourd'hui…rien n'était moins sûr.

Tout à coup, un tapotement sur sa tête le sortit de ses pensées obscures, et il réalisa que Marina se trouvait derrière lui.

"Rectifions, Marina. Ton désir le plus cher est de faire partie de l'ordre des Alchimistes. Avant que Mura ne nous apprenne la véritable fonction de ta sœur, tu n'en savais rien. Je ne te demande pas de renoncer à ton désir d'être une Alchimiste bien au contraire mais plutôt de reconsidérer ta position en voulant devenir Gardienne. Personnellement, je comprends ta réaction comme celle d'Ella…"

En effet, Mérion comprenait la réaction qu'avait pu avoir la jeune fille. Elle qui était la moitié d'Aiden, voir son âme sœur. Elle lui avait déjà avoué ne pas trouver sa place au sein du Conseil. Elle adorait Marina, c'était un fait mais parfois…elle se trouvait insignifiante par rapport à elle ou même à son frère. Elle n'était que la sœur d'Aiden.

Le jeune homme poussa un soupir discret.

"De toute façon, quoi que je dise, tu n'en feras qu'à ta tête..."

Mais les sanglots de la jeune fille l'arrêtèrent net. Et c'est avec le sentiment de surprise mêlé de soulagement, qu'il sentit la jeune fille le prendre dans ses bras, pour laisser libre cours à son chagrin. Il se trouva alors à humer malgré lui le délicieux parfum de son amie avant laisser échapper un léger rire.

"Même dans cette situation, tu ne peux t'empêcher de diriger, Chaton. Allez, viens dans mes bras. C'est moi qui suis sensé te réconforter et non l'inverse. Même si c'était plus agréable comme cela pour moi."

Doucement, il la fit redescendre pour qu'ils soient sur la même marche et là, il put la prendre correctement entre ses bras. Tendrement alors, il lui caressait ses cheveux, son dos, lui murmurant à l'oreille que ses cheveux aussi, avaient un agréable parfum. Ensuite, il se tut pour laisser son amie faire son deuil.

Dans les bras d'un jeune homme de sa taille et plus jeune qu'elle, Marina ne savait pas s'il y avait vraiment de quoi se sentir réconfortée mais elle s'en fichait un peu en cet instant. A la base, elle avait décidé de faire son deuil après la fête mais Ella n'était pas là pour la voir pleurer, elle détestait se sentir vulnérable, surtout en face des personnes qu'elle estimait. C'est bien pour cela qu'elle prenait bien soin à ce que Mérion ne voit pas ses larmes.

"Devenir membre de l'Ordre des Alchimistes n'est pas mon but véritable, c'est seulement un moyen d'y parvenir et j'y tiens toujours. L'un n'empêche pas l'autre. Comme ma sœur, je suis prête à mourir pour ce en quoi je crois. Je sais que nous sommes trop jeunes pour un tel fardeau mais je sais que..."

Marina ne trouvait pas les mots pour décrire la conviction qu'elle avait du bien-fondé de ses choix. Elle n'avait pas de vision comme Mérion, elle n'avait pour elle que sa force prodigieuse autant dans ses poings que dans sa personnalité. Et c'était cette force qui la guidait et la menait vers le chemin pour lequel elle avait opté, écartant tout ce qui se trouvait sur son passage.

"Et n'en profite pas pour me tripoter."

Même en sanglotant, Marina restait fidèle à elle-même, c'était cet esprit implacable qui faisait d'elle qui elle était.

A tenir Marina entre ses bras, Mérion se rappela combien il était agréable de tenir quelqu'un contre soi. De sentir sa chaleur, son parfum, les émotions qui parcouraient le corps et qui le faisait réagir. Cela faisait un petit moment qu'il n'avait plus eu une fille entre ses bras. Le Conseil l'avait tellement absorbé qu'il en avait oublié les distractions. Mais contrairement aux autres filles, Marina faisait en sorte de lui cacher ses larmes. Il ne saisissait pas trop cette réaction puisqu'elle pleurait quand même entre ses bras. Elle ne devait donc pas être gênée de se sentir vulnérable.

"Tu sais que quoi ? Que c'est honorable de mourir pour quelqu'un ? Que donner sa vie pour ce que l'on croit juste est noble ? Est-ce pour autant que tu devras écraser tes amis sur ton passage ?
Et puisque ce n'est pas qu'un chemin, explique moi ce que tu comptes obtenir à la fin de ton chemin. "

Tracassé, Mérion n'appréciait pas tellement la tournure de leur conversation. Car si ce qu'il pensait était exact, alors Marina n'hésiterait pas à se brouiller avec Ella pour accomplir sa destinée. Hors, c'était exactement ce qu'il fallait éviter. Mais tout n'était pas encore joué. Non, le futur pouvait encore changer.

"Te tripoter ? Faudrait-il déjà qu'il y ait quelque chose à tripoter pour que je puisse le faire…"