I. Début de l'enquête

A l'aube, Misaki ouvrit grand les yeux en maugréant intérieurement, elle aurait aimé flemmarder au lit plus longtemps mais elle savait qu'elle ne parviendrait pas à se rendormir. Tournant la tête vers Takuma, encore profondément endormi à cette heure-ci, elle opta pour se lever de suite afin de lui préparer un bon petit-déjeuner. Avant de se rendre à la cuisine, elle fit un arrêt obligatoire à la salle de bain pour dompter sa chevelure et prendre son traitement, constitué de deux gélules et trois comprimés. Deux gélules et trois comprimés, c'était ce qui lui permettait de mener une vie normale. Elle se brossa les dents au passage et se dirigea enfin vers la cuisine. Comme toutes les fois où c'était elle qui préparait le petit-déjeuner, elle prépara une omelette, son plat préféré. Mais elle préférait quand c'était Takuma qui en préparait, il y ajoutait un ingrédient secret.

*Hmmm, ça sent bon...*

En chantonnant une chanson du moment, elle retourna l'omelette et mit la table pendant la fin de la cuisson. Elle alluma la télévision et accourut à la cuisine avant de cramer sa préparation. Elle arrêta aussi le cuiseur de riz et l'ouvrit quand quelqu'un l'enlaça en venant derrière elle. Surprise car elle ne s'y attendait pas, elle sursauta en lui demandant sur le ton de la plaisanterie s'il n'était pas un ninja à surgir de nulle part sans prévenir.

L'aube venait à peine de se lever que Takuma ouvrait péniblement les yeux. Quelque chose avait interrompu son sommeil. Tendrement, il tendit la main pour caresser Misaki mais celle-ci ne rencontra que le vide. Voici donc ce qui l'avait réveillé. Le jeune homme ne dormait paisiblement que lorsqu'elle se trouvait à ses côtés mais la jeune fille avait pour habitude de se réveiller tôt. Péniblement, il se mit debout et s'étira en baillant. La nuit avait été courte. Rentré tardivement à la suite de son petit boulot, le jeune homme avait étudié jusqu'à deux heures du matin. Il aurait aimé rester encore un peu sous la couette mais il avait des cours ce matin. Soudain, une odeur agréable vint chatouiller ses narines.

*Hmmm, Omelette...*

Ecoutant à l'appel de son estomac, Takuma se rendit sur la pointe des pieds dans la cuisine, désirant comme cela, surprendre sa bien-aimée. Occupée à préparer le petit déjeuné, la jeune fille ne l'entendit pas arriver et c'est avec surprise qu'elle sursauta lorsqu'il l'enlaça par derrière.

"Bonjour toi..."

Alors que Takuma plongeait son nez dans les cheveux de sa compagne pour en respirer son doux parfum, la jeune fille lui demanda sur le ton de la plaisanterie s'il n'était pas un ninja.

"Découvert, malheur ! Que vais-je bien pouvoir faire de toi ?"

Takuma décida alors de la chatouiller pour la punir. Très sensible à cela, Misaki ne fut pas longue à se tordre de rire et tenta de s'échapper dans le salon. Mais rapidement, le jeune homme changea de tactique et ajouta à cela, une pluie petits baisers. Cou, visage, lèvres. Lorsqu'il s'arrêta, ce fut pour découvrit les joues empourprées de la jeune fille. Il ne put s'empêcher d'éclater de rire, mais d'un rire emplit de tendresse. Il l'aida alors à finir de préparer le petit déjeuner et tous deux allèrent s'installer dans le salon.

"As-tu bien dormi, Misa ?"

La question pouvait sembler anodine mais pas pour Takuma. Lorsqu'il l'avait rejointe pour dormir, la jeune fille semblait agitée. Mais il avait suffit à la prendre entre ses bras pour que cela cesse.

Misaki prit une grosse bouchée d'omelette quand Takuma lui demanda si elle avait bien dormi. Elle hocha la tête pour éviter de parler la bouche pleine. Après avoir dégluti, elle but un grand verre d'eau et servit du riz à son amoureux.

"J'ai très bien dormi. D'ailleurs, j'ai mon rendez-vous mensuel chez Takakura-sensei ce matin. Comme je ne serai pas loin de Todai, je passerai à midi pour qu'on déjeune ensemble."

Le docteur Takakura était le psychiatre qui suivait Misaki depuis sa tentative de suicide. Il avait prodigué à la jeune fille de nombreux conseils pour mener une vie la plus normale possible, son cas était heureusement assez léger grâce à son traitement. Cependant, le médecin ne savait pas si sa patiente pourrait se permettre un jour d'arrêter de prendre ses deux gélules et trois comprimés. Mais depuis quelques temps, Misaki ne voyait pas sa santé mentale comme un handicap ou une maladie. Elle considérait désormais cela comme une partie intégrante de ce qu'elle était puisque c'était avec sa tentative de suicide qu'elle avait connu une renaissance.

"Qu'est-ce que tu aimerais manger ce midi? Mon rendez-vous est assez tard dans la matinée donc j'aurai le temps de te préparer ce que tu veux. Par contre, interdiction de se plaindre sur la cuisson!"

Misaki était bonne cuisinière mais elle avait tendance à trop cuire ce qu'elle préparait. Elle s'était néanmoins améliorée depuis le début de sa relation avec Takuma. Les premiers repas qu'elle lui avaient confectionné avec amour avaient eu un goût de brûlé croustillant mais c'était l'intention qui comptait. Et à chaque fois que le jeune homme lui faisait remarquer son erreur, elle se mettait à pleurnicher, prétextant qu'elle avait fait de son mieux. Elle manquait simplement d'exercice, et aussi de concentration tant elle était tête en l'air et maladroite.

Réfléchissant à ce qu'il pourrait avoir envie de manger ce midi, Takuma observait la télé d'un œil distrait. Mais aussi vite, son regard se fixa sur les images qui étaient en train d'être diffusées. La présentatrice du journal annonçait que l'enquête concernant le meurtre de la jeune fille, Nakahara Suzuki, n'avançait toujours pas en dépit des efforts de la Police.
Silencieux, le jeune homme continuait à manger même si le cœur n'y était plus. Mais pour ne pas inquiéter Misaki, il préférait agir comme si de rien n'était. Le journal se termina peu de temps après et une émission de variété vint remplacer les tristes nouvelles.

"Du poulet. J'aimerai du poulet. Grillé, frit et épicé. Hum, et de l'omelette roulée. Pour le reste, je te laisse me faire une surprise."

Le jeune homme déposa enfin ses baguettes en équilibre sur son bol de riz vide et déplia ses longues jambes pour se relever. Takuma remercia alors la jeune fille pour ce délicieux petit déjeuné et se dirigea vers la chambre pour y prendre ses vêtements avant de se rendre ensuite dans la salle de bain. Une douche chaude lui ferait le plus grand bien pour dénouer ses muscles noués. Mais il ne s'accorda que dix courtes minutes sous ce petit paradis et termina sa toilette. Une fois habillé d'un jean, d'un t-shirt blanc et d'une chemise à moitié boutonnée, le jeune homme sortit et attrapa ses livres.

"Je sais qu'il est encore tôt mais je dois passer à la bibliothèque pour compléter un devoir. Fais attention à toi, chaton."

Encore quelque peu troublé par les informations du journal, Takuma embrassa distraitement Misaki sur le front et sortit de l'appartement. Bien qu'il ne voulait pas l'admettre, le jeune homme avait été bien plus perturbé par la mort de son amie que ce qu'il avouait. Estimant que la jeune fille avait bien mieux à faire que de s'inquiéter pour lui.

Misaki termina son petit-déjeuner pendant que Takuma était sous la douche. Depuis que son amie Suzuki avait été tuée, il était devenu un peu distrait et la jeune fille l'avait bien remarqué malgré l'indifférence qu'il feignait. Elle se leva quand elle eut fini et nettoya la vaisselle.

*Il ne veut pas que je m'inquiète pour lui mais je ne peux pas m'en empêcher.*

Après qu'il eut déposé un baiser furtif sur son front et ait quitté l'appartement, Misaki entreprit de préparer le bento du midi. Ils mangeraient ensemble aujourd'hui car elle n'étudiait pas les jours de ses rendez-vous mensuels avec son médecin. Alors qu'elle se remettait en mémoire les ingrédients d'une omelette aigre-douce tout en découpant un blanc de poulet en tranche, elle se tailla l'index. Elle accourut aussitôt vers la salle de bain pour se désinfecter et panser sa plaie. Elle avait l'habitude maintenant, c'était le lot quotidien des maladroits. En revenant vers la cuisine, elle remarqua que la télévision était toujours allumée, l'émission de variété s'étant poursuivie sans elle. L'une des invités était une actrice qui parlait du nouveau film dans lequel elle jouait mais Misaki n'avait jamais vraiment aimé cette actrice, elle éteignit donc la télévision avant de repartir à ses occupations.

Une heure plus tard, le poulet et l'omelette étaient prês, ainsi que les légumes taillés en julienne. Misaki aurait pu faire une taille mignonne mais comme elle s'était déjà coupée, elle n'allait pas attirer davantage la poisse. Elle partit ensuite prendre une douche et se préparer, optant aujourd'hui pour une jolie robe couleur crème ornée de perles et de dentelle, lui arrivant au-dessus du genou. Elle compléta sa tenue par un leggings noir atteignant ses mollets et une paire de ballerines roses.

"J'ai mon sac à main, le bento, ma trousse d'urgence est bien dans mon sac. Tout est ok, je suis prête à partir."

Misaki avait prit l'habitude de tout vérifier quand elle partait. Il suffisait qu'elle oublie quelque chose pour en avoir besoin.

Sans savoir comment, Takuma était arrivé à Tōkyō Gakugei, ou appelé plus communément Gakugeidai par les étudiants. Cette université était reconnue dans les domaines de l'apprentissage du japonais, de l’art, de la musique et de l’éducation internationale ; domaines dans lesquels ses cours étaient parmi les meilleurs du Japon.

Celle-ci était située à 30 minutes de son appartement, et pour s'y rendre, le jeune homme devait emprunter le train express. Chaque jour, il en profitait pour se reposer ou bouquiner un peu. Mais aujourd'hui, il avait passé le trajet dans un état second. Et ce n'était qu'un fois assis sur un banc dans le parc de l'université qu'il émergea. Autour de lui, les étudiants arrivaient peu à peu. Certains pressés d'apprendre, et d'autres, préférant rester à l'extérieur pour profiter de fraîcheur du matin.

Clignant les yeux pour reprendre ses esprits, Takuma soupira d'exaspération. Pourquoi devait-il être à ce point perturbé. Certes, elle avait été son amie, mais celle-ci avait arrêté du jour au lendemain de donner de ses nouvelles. Oui, il avait été en colère qu'elle l'abandonne, oui, il avait éprouvé de la peine, mais c'était bien des années auparavant et maintenant, il vivait heureux avec Misaki. Et il ne voulait surtout pas que cela change quoique ce soit. C'est pour cela qu'il avait préféré se taire lorsqu'elle lui avait gentiment proposé d'enquêter ensemble. Pourquoi aurait-elle dû mettre sa vie en danger pour lui ?

Plus exaspéré qu'il ne l'était déjà, le jeune homme passa une main dans ses cheveux et sortit son paquet de cigarette pour en allumer une. Il tira une longue bouffée avant de l'avaler. Sentir cette chaleur néfaste se répandre dans son corps l'apaisait.

*Et avec ça, je l'ai complètement ignorée. Je ne lui ai même pas porté la moindre attention de ma part. Surtout aujourd'hui. Tss, quel petit ami lamentable.*

"Eh, M'sieur le Géni ! Tu n'avais pas décidé d'arrêter ?"

Takuma releva la tête au son d'une voix féminine et familière. Devant lui se trouvaient deux jeunes filles aussi différentes l'une que l'autre. La première, Akiyama Mio, était la jeune fille qui lui avait parlé (IMAGE) la seconde, celle qui le dévorait des yeux, Kuroishi Suzuka (IMAGE). Mio était en dernière année quant à Suzuka, en première. Toutes deux avaient sympathisé lors de l'élection Miss Gakugeidai.

Haussant les épaules, le jeune homme tira une nouvelle fois sur sa cigarette. Il avait bien eu l'intention d'arrêter mais c'était comme arrêter de respirer. Impossible. Cependant, par respect pour Misaki, il évitait de fumer en sa présence et essayait de diminuer. Mais avec les derniers événements, cela l'empêchait quelque peu de s'y tenir.

"Et toi, tu n'avais pas décidé d'arrêter de t'occuper des affaires des autres ?"

La jeune fille aux cheveux noirs lui passa la langue et dans une ambiance bonne enfant, tous les trois se mirent à discuter jusqu'à la sonnerie qui annonçait le début des cours.