Sous le même toit

Riku et son père avaient vu leur maison s'effondrer comme un château de carte durant le dernier tremblement de terre. Ils avaient seulement pu sortir à temps car ils s'en était fallu de peu à ce qu'ils se retrouvent sous les décombres. La jeune fille n'avait eu le temps de prendre avec elle qu'un cadre contenant la photo de sa mère bienaimée, décédée en la mettant au monde. Elle était l'idole de Riku, elle avait été très amoureuse de son époux et avait décidé de donner naissance quels qu'en soient les risques. L'histoire d'amour de ses parents était tragique de par sa courte durée mais Riku y voyait davantage la passion et le bonheur qu'ils avaient vécu plutôt que la façon dont cela s'était terminé.
Quelques jours après, alors qu'ils avaient dormi au restaurant familial en attendant de trouver un nouveau logement, un vieil ami du père de Riku contacta celui-ci pour lui proposer de l'héberger. Ils acceptèrent avec joie et voilà comment ils s'étaient retrouvés dans ce salon décoré avec goût, assis en face du couple qui leur offrait asile. D'ailleurs, le père de Riku ne cessait de les remercier en inclinant la tête. Elle lui tapota l'épaule en se retenant de rire.

"Papa, je pense que ça suffit maintenant. Tout le monde a compris que tu étais reconnaissant, tu vas finir par rendre ces gens mal à l'aise."

Mais son père lui avait rétorqué en lui pinçant la jour de façon complice qu'elle ferait mieux d'être plus reconnaissante plutôt que de se moquer de lui, ce qui ne manqua pas de la faire rire finalement.

"Je le suis, Papa, je le suis."

Riku et son père avaient toujours été seuls, ce qui les avait rendu très complices. Mais l'adolescence les avait fait s'éloigner un peu, alors chaque instant comme celui-ci était un bien précieux pour eux. Quand la dame du couple proposa du thé à la jeune fille, la porte d'entrée s'ouvrit, annonçant l'arrivée du fils du couple. En voyant le visage de ce dernier, Riku se leva d'un bond, surprise.

"Aaaah?"

Niveau discrétion, c'était raté mais bon, ce n'était pas non-plus le genre de la maison. Riku était du genre extrême; tout ce qu'elle faisait, elle le faisait à fond. Elle passait alors pour une fille excessive mais qu'importe? Plus rien d'autre n'avait d'importance que ce jeune homme qui la regardait avec l'indifférence la plus totale, le grand amour de sa vie, Naoki Kaieda. Elle réalisa alors comment se lisait le kanji avec lequel s'écrivait son nom, qu'elle n'avait su lire correctement à l'entrée de la maison. Quant aux trois adultes, ils observaient les deux adolescents avec un mélange de surprise et de curiosité.

Rentrant tranquillement de ses cours du soir, un jeune homme à l’allure classique s’arrêta quelques instants pour observer l’agitation qui régnait dans une maison. Les tentures n’avaient pas été fermées et l’on pouvait apercevoir ce qu’il s’y passait. Cela semblait être une soirée familiale. Les enfants couraient, sautaient avant d’éclater de rire, s’échappant des mains de leurs parents.
Un léger sourire vint éclairer cette figure figée dans l’indifférence. Cela lui rappela momentanément quelques bons souvenirs. Ceux qu’il ne pouvait partager et qui ne se reproduira jamais plus. Son frère aîné était décédé d’une grave maladie à l'âge de 10 ans. Le jeune homme avait énormément souffert de cette perte. Il s’était refermé comme une huitre et ne vivait plus que pour atteindre son rêve. Celui de devenir le médecin du Japon. Un rêve utopique mais…tout était possible quand on le voulait.

Se détachant de cette vue idyllique, il se remit en marche pour atteindre enfin sa rue, dix minutes plus tard. Une camionnette était stationnée devant chez lui, mais il n’y prêta guère attention, la contournant machinalement pour passer le portail de chez lui. Ce n’est qu’une fois ses chaussures enlevées dans l’entrée qu’il remarqua d’autres chaussures inconnues. Ses parents devaient recevoir, une surprise pour lui puisque son père avait pour habitude de rentrer tard et donc, de ne jamais recevoir en semaine. Le jeune homme se dirigea alors vers le salon, là où les voix portaient. Mais une surprise de taille l’attendait car dans son salon se trouvait la dernière personne qu’il s’attendait à voir chez lui. Sonozaki Riku.

« Bonsoir… »

Et apparemment, il ne devait pas être le seul car aussitôt qu’il apparut, la jeune fille sauta sur ses pieds, poussant un cri à fuir les souris. Indifférent à cette attitude, le jeune homme alla déposer son sac près de la table à manger avant de se joindre aux invités.
Sa mère lui attrapa le bras pour le faire asseoir côté d’elle et commença à lui raconter la petite histoire de leur présence.

« Je vois. »

Naoki se tourna alors vers le père de la jeune fille, affichant un masque compatissant.

« Cela est vraiment une triste histoire. Vous deviez avoir un ange gardien pour vous protéger... »

Hochant la tête avec vigueur, le père de la jeune fille l’observait avec vénération. Il était, après tout, le fils de ses sauveurs. La mère du jeune homme proposa alors à son fils de montrer la chambre d’ami pour que la jeune fille puisse monter ses valises. Sans un regard, sans un mot, Naoki hocha la tête et se dirigea vers les escaliers qui menaient à l’étage.

Quand Naoki avait été agrippé par sa mère pour écouter l'histoire des Sonozaki, Riku s'était rassise aux côtés de son père mais n'écoutait pas du tout la conversation. L'amour occupait déjà toutes ses pensées, pas la place pour autre chose sans risquer la saturation. Lorsque les présentations furent terminées, madame Kaieda suggéra à son fils de montrer la chambre d'amis à Riku afin qu'elle puisse y déposer ses affaires. Il s'exécuta sans daigner attendre l'intéressée qui dû accélérer le pas pour le rattraper en prenant son unique bagage en passant devant l'entrée.

*Mes amies ne vont pas en revenir quand elles sauront ce qu'il m'arrive. Moi et Kaieda Naoki, sous le même toit. C'est comme un rêve!*

Réalisant les conséquences de cette situation, Riku se figea en haut des escaliers et le lamenta contre le mur du couloir.

*Mais si tout le monde l'apprenait, je ne donne pas cher de ma peau. Il y a des filles qui sont amoureuses de lui et assez folles pour me jeter dans la baie de Tokyo attachée à une enclume.*

Entre la vérité ou la vie, Riku opta pour la vie. Ainsi, elle ne dirait à personne qu'elle vivait chez les Kaieda et ferait en sorte que cela ne se sache jamais. Ce serait son petit secret entre elle et Naoki, ce qui la fit se ressaisir avec le rose aux joues. Au bout du couloir, le jeune homme l'attendait d'ailleurs avec la même indifférence qu'à son habitude. La plupart des gens auraient été vexés par tant d'indifférence mais pas Riku. Elle considérait même qu'une expression neutre était la meilleure façon pour voir les gens tels qu'ils étaient. Disons qu'elle avait surtout le chic pour tout faire tourner à son avantage.

« J’espère que tu l’apprécieras, ou plutôt que tu apprécieras tout le mal que ma mère s’est donné pour transformer mon bureau en chambre d’ami…C’était un rêve pour elle d’avoir une fille...Enfin même si je doute que cela soit vraiment le cas en te voyant. »

« Bien, même si ma mère m’a demandé de t’aider à déballer tes affaires, je ne vois pas pourquoi je le ferai. Il n’y a aucune raison pour que je fasse attention à toi, non ? »

« Que tu sois ici ou pas, ce n’est pas mes affaires donc s’il te plaît, ne gêne pas mon mode de vie. »

« Quelle plaie… »

Riku était ravie d'avoir une disposition une chambre encore plus belle que celle qu'elle avait eu dans sa maison effondrée. Mais Naoki était été vraiment froid avec elle, si bien qu'elle-même l'avait remarqué. Après le départ de celui-ci, la jeune fille resta plantée au beau milieu de ce qui était autrefois un bureau en pinçant les lèvres. Il y avait heureusement des limites à sa naïveté.

"S'il croit que c'est une telle attitude qui va m'arrêter, il se fourre le doigt dans l'œil."

Riku sortit de son sac le cadre contenant la photo de sa mère qu'elle avait sauvé du tremblement de terre et la posa sur la table de chevet en s'y agenouillant devant. Faute de présence maternelle dans son entourage, cette photo de sa mère au sourire radieux avec un ventre bien rond était devenue sa confidente.

"Mama, Naoki ne me connaît pas beaucoup. Peut-être que s'il se comporte froidement, c'est parce-qu'il est timide."

Elle pouffa de rire en imaginant le jeune homme comme un petit garçon se cachant derrière sa mère. Riku se releva ensuite pour ranger ses quelques vêtements dans la commode mise à sa disposition.