En se levant, Louis attrapa une mèche de cheveux appartenant à Perle et la fit glisser entre ses doigts. Plongeant son regard assuré dans le sien, un rictus se dessina sur ses lèvres.

"Seul l'avenir nous le dira."

Puis avant d'entrer dans le bureau du Proviseur, le jeune homme adressa un clin d'oeil malicieux à sa fiancée avant de fermer la porte derrière lui. Le chef de l'établissement, la cinquantaine bien entamée, trônait sur son fauteuil dans un costume à la cravate mal assortie. Louis pensa que la seule raison valable pour qu'il la garde serait que ce soit un cadeau de ses enfants ou même de ses petits enfants.

*Hmm, il a pas trop la tête d'un papi gâteau.*

En effet, monsieur DeLeon avait un visage plutôt sévère, une carrure encore bien sculptée pour son âge et son long nez faisant penser au bec d'un aigle. Avant d'approcher du bureau, Louis observa la pièce. Les murs étaient cachés par de lourdes bibliothèque de bois, un canapé et un fauteuil assortis faisaient face à une table basse posée sur un tapis et de beaux diplômes sur le mur derrière le Proviseur envoyaient au jeune homme des signaux subliminaux comme pour dire Regardez-moi, je suis merveilleux, n'est-ce pas?

*Pourquoi cette cravate?*

Malgré tout, cette histoire de cravate mal assortie préoccupait plus Louis que tout le reste. Le Proviseur l'invita à s'asseoir d'un geste de la main en direction d'une des deux chaises faisant face au bureau. L'élève s'installa, un peu affalé. Comme un jeune à vrai dire. Mais dans cet environnement austère, il faisait presque tache en étant aussi décontracté.

"Bonjour et bienvenu en Nouvelle Orléans, monsieur Emmerson.
-Merci."

La voix de cette homme était grave et tranchante, s'accordant parfaitement à son physique et à l'atmosphère que dégageait son bureau. Une question démangeait Louis terriblement mais il serrait les dents pour s'intimer de se taire.

"Pourquoi avez-vous décidé de quitter la Californie pour cet État? Vous ne vous y plaisiez pas?
-Ma fiancée vit ici. Je retournerai peut-être en Californie l'année prochaine... ou peut-être pas. Je n'aime pas vraiment faire de projets d'avenir. Le présent est plus important.
-A votre âge, c'est pourtant le moment de savoir ce que vous avez l'intention de faire plus tard. Avez-vous songé à l'université dans laquelle vous suivrez vos études?
-Non. Peut-être que j'irai pas."

Monsieur DeLeon adressa à Louis un regard mi-surpris mi-scandalisé. Il avait probablement jeté un œil au dossier scolaire de son nouvel élève et la déclaration de celui-ci devait lui sembler presque irréelle.

"Puis-je vous demander pourquoi?
-Pourquoi faire des études alors que je ne sais pas ce que je vais faire dans quelques années?
-C'est justement pour votre avenir.
-Foutaises.
-Pardon?!
-Mon père a versé combien à votre établissement pour aborder ainsi la question de mon avenir? Je sais très bien qu'il veut que je reprenne le flambeau mais j'en ai rien à faire de son entreprise. Il peut se le garder si il veut son argent parce-qu'une fois le lycée terminé, je disparais de sa vie."

La désinvolture de Louis fit rougir le Proviseur. Il avait un avenir tellement brillant et il avait l'intention de le jeter en l'air. Il était un des meilleurs élèves de son Etat, pouvait accéder à l'université de son choix et il osait déclarer de pas avoir envie de poursuivre ses études. Décrétant que la discussion était terminée, Louis se leva de la chaise et se dirigea vers la porte. Le quinquagénaire se leva de son fauteuil, souhaitant dire quelque chose pour le retenir davantage mais c'était inutile car l'élève était du genre à faire ce qu'il voulait.

"Perle, on peut y aller."

Plongée dans la lecture d'une œuvre de Shakespeare, la jeune fille l'avait attendu pendant toute la durée de son entretien avec le Proviseur.

Alors qu'il rangeait ses livres dans son nouveau casier, Louis jetait quelques coups d'œil discrets en direction de Perle. Elle ne semblait pas être de très bonne humeur. Depuis qu'il était arrivé, elle ne lui avait même pas adressé un sourire et le jeune homme pressentait qu'il n'allait pas en voir un avant un moment. Il savait à quel point sa fiancée n'avait pas un caractère des plus dociles.

"J'ai l'impression que le fait que nous soyons dans la même classe ne t'enchante guère, je me trompe? Moi, je trouve ça merveilleux. Je ne connais personne ici, et je connaitrai au moins une personne dans ma classe."

Mais il était clair que sa joie n'était pas partagée. Terminant de ranger ses affaires en soupirant, il referma ensuite la porte de son casier et suivit Perle à travers les couloirs de son nouveau lycée. Moderne et propre, Louis supposa que l'établissement avait été rénové après Katrina.

"Perle, je n'ai rien fait de mal, tu n'as donc pas besoin d'être désagréable à mon égard. Si tu veux, je ne dirai rien ni à tes amis, ni à ton copain à propos de l'engagement qui a été conclu par nos deux familles. De toute façon, me croiraient-ils?"

Le sourire qu'il afficha à ce moment-là était empreint d'une certaine tristesse. Il avait tout quitté à Los Angeles pour venir en Nouvelle-Orléans rencontrer sa fiancée qui ne l'aimait pas du tout et qui avait déjà quelqu'un dans sa vie, aussi suspicieux trouvait-il le rival. En effet, Louis ne portait pas vraiment les sportifs dans son cœur.

Louis regardait un peu autour de lui, l'ambiance était très studieuse. C'était différent de l'école dans laquelle il allait en Californie, surtout qu'il avait une joyeuse bande d'amis avec lesquels ils jouaient au poker au fond de la classe pendant les cours de mathématiques. Compter les cartes, c'était aussi des math selon son pote Chuck. Néanmoins, ses activités de fond de classe n'avaient jamais pénalisé ses résultats. Louis n'en avait pas l'air mais il écoutait toujours le cours d'une oreille. C'était sa bonne mémoire qui faisait office de pont entre ses excellents résultats et l'échec scolaire.

*Une année avec eux, ça promet dis-moi.*

Lorsque Perle prit le microscope, elle déposa une feuille de papier sur laquelle elle avait écrit à l'attention de Louis. Il s'en saisit et remarqua la belle écriture de sa fiancée. Il se mit à écrire à son tour, lui aussi avait une écriture appliquée. Chuck en riait même en disant qu'il avait une écriture de fille.

Citation :

Le fait que tu ne sois pas mise au courant n'est pas de ma faute, c'est un choix de ton père. Moi, je suis ravi de t'avoir pour fiancée, je pense que c'est une expérience intéressante. Bon, il est vrai que les filles ne sont pas du genre à rêver qu'on choisisse leur époux à leur place mais qu'est-ce qui te dit que tu n'approuveras finalement pas ce choix?

Et si j'étais à ta place, je trouverais la situation amusante et tenterait de découvrir si vraiment la personne qu'a choisi mon père pour des raisons financières ne peut réellement m'apporter que de l'argent. Qu'en penses-tu?

Prouver qu'il était quelqu'un de bien sans utiliser la tricherie, parce-qu'il se le défendait pour obtenir la reconnaissance de Perle, n'allait pas être bien facile pour Louis. Il avait des mœurs bien différentes de celles de sa famille alors avec cette jeune fille, c'était mal parti.

Pendant que Perle répondait à son message, Louis avait commencé à regarder les plaquettes dans le microscope. De son stylo plume à encre bleue, il écrivait de sa belle écriture sur sa feuille à grands carreaux. Le devoir demandé était sur un sujet qu'il avait déjà étudié dans son ancien lycée. Quand Perle lui transmit la feuille sur laquelle elle venait d'écrire, ils firent échange, il lui prêta le microscope.

*Tiens?*

Louis avait remarqué quelque chose, aussi s'empressa-t-il de répondre en jetant quelques coups d'œil à sa voisine qui ne semblait pas avoir tellement envie de travailler.

Citation :

Je n'ai que des amis à Los Angeles, aucune petite-amie depuis pas mal de temps. De toute façon, je n'ai été amoureux d'aucune de mes ex alors autant ne pas perdre de temps. Je n'ai toujours pu aimer qu'une seule personne.

Bien-sûr que j'ai l'intention de rendre mon séjour agréable et de faire en sorte que tu m'apprécies tel que je suis. N'est-ce pas de la même façon que tu désires être aimée?

Et pourquoi as-tu si peur d'avoir le cœur brisé? Je ne peux prétendre que je ne te briserai jamais le cœur car on ne sait jamais ce que l'avenir nous réserve et te promettre de ne jamais le faire, ce serait comme te mentir. Mais il faut tomber amoureux avant d'éprouver un tel sentiment. Aurais-tu peur de tomber amoureuse de moi?

Louis, en tant que nouvel élève, était devenu la curiosité de la classe et certains voyaient bien les messages qu'il échangeait avec Perle. Cette dernière aurait certainement droit à un interrogatoire.

En lisant le message de Perle, Louis afficha une expression sérieuse sur son visage. Les mots de sa fiancée auraient pu le faire sourire en d'autres circonstances mais ce qu'il lisait le peinait quelque peu. Aussi, lorsqu'elle lui fit les yeux doux pour lui demander de l'aider afin de conserver les apparences, le jeune homme se leva de son tabouret sans la moindre discrétion sous le regard de tous les élèves et du professeur. Rassemblant le peu d'affaires qu'il avait, il se dirigea sans un mot vers l'enseignant interloqué.

"Je ne me sens pas très bien, je rentre chez moi."

Sur ces mots, il posa la feuille sur le bureau de son professeur et quitta la salle. Louis n'avait eu l'occasion de faire que le quart de l'exercice mais toutes ses réponses étaient justes, ce qui épata d'autant plus l'enseignant. Son nouvel élève était issu d'un lycée au niveau un peu plus élevé car l'objectif de son père était d'en faire son successeur et Louis était de toute façon un excellent élève, quelque soit l'école dans laquelle il allait.

*Ce sera plus difficile que je ne l'avais pensé.*

Dans le couloir, le jeune homme retrouva son casier assez facilement, il avait un bon sens de l'orientation. Il y rangea ses affaires de cours et se dirigea vers la sortie du lycée. Aucun élève ne traînait dans les couloirs ni même à l'extérieur. Il faut dire qu'avec un proviseur qui donnait une telle impression de droiture, les élèves n'avaient certainement pas envie de filer un mauvais coton.

"J'ai quand même du mal à y croire... Comment a-t-elle pu me comparer à un sportif?"

Tapant sa main contre son front, il en profita pour glisser ses doigts dans ses cheveux. A ce moment-là, il sentit son téléphone vibrer dans sa poche. Il venait de recevoir un autre message de son ami Chuck.



Louis ne put s'empêcher de sourire aux mots de son ami. Chuck avait toujours ri de lui de son amour pour une fille qu'il n'avait même jamais rencontré. Selon lui, l'amour n'était qu'une illusion qui n'existait seulement que pour que les femmes croient que les hommes les apprécient avec leurs qualités mais aussi et surtout avec leurs défauts. Son idée était que l'amour n'était rien d'autre qu'une rumeur mielleuse.



Un tel discours ne ressemblait pas à Louis lorsqu'il était sobre, il réservait les discussions de ce genre pour quand il était ivre. L'alcool le rendait joyeux dans un premier temps puis finissait toujours par lui faire raconter des choses tellement vraies et quelque peu déprimantes que même Chuck refusait de lui tenir compagnie en fin de soirée. A l'extérieur, Louis prit place sur un banc au soleil, profitant de la rare chaleur de février.