I. L'arrivée de la princesse

Charles partit du côté de la cuisine, prit un couteau et chercha un kiwi dans le réfrigérateur. En revenant vers Caelia, il se mit à l'éplucher avec soin. Il le coupa ensuite en deux, laissant le jus du fruit ruisseler sur ses doigts, et le tendit à la jeune fille.

"Le kiwi est un fruit riche en vitamine, cela devrait vous faire du bien."

Il s'accroupit face à elle afin d'être à sa hauteur. Charles se demanda si toute cette journée n'avait pas surmené la princesse. Il n'avait pas la même conscience que les personnes ordinaires. Pour lui, un jour comme celui-ci était plutôt normal. Il avait connu des missions bien plus physiques et plus épuisantes psychologiquement.

"Si vous n'en voulez pas, c'est moi qui le mangerai."

Alors que l'une de ses mains tendaient encore le fruit, Charles se mit à lécher la paume de son autre main afin d'éviter de tâcher ses vêtements immaculés.

I. L'arrivée de la princesse - Page 3 Caelia

Caelia leva la tête et regardait d'un air incertain le kiwi proposé par Charles. Bien qu'elle ne soit pas difficile, elle n'appréciait guère ce fruit. Peut-être était-ce à cause de la sensation qu'elle ressentait à travers ses joues.

Pourtant, elle le prit délicatement entre son pouce et son index et le croqua. Sa réaction ne se fit pas attendre. Elle ferma les yeux et eut une petite grimace.

"Merci…Charles."

Doucement, elle entreprit de manger le reste tout en évitant de tâcher le sol et ses vêtements. Maintenant qu'elle en avait terminé avec ce fruit, elle avait la main toute poisseuse. Et comme Charles n'avait pas l'air de vouloir se retirer pour qu'elle puisse aller se laver les mains, elle regardait sa main, hésitant à la lécher à son tour. Cela la gênait horriblement de le faire face à lui. Il était si…appétissant.

Mais la sensation désagréable se raffermissait et n'y tenant plus, elle passa ses jambes par-dessus le fauteuil et sauta vers la cuisine. De ce fait, elle n'avait pas eu à bousculer le jeune homme et évita de le salir par la même occasion.

Enfin soulagée, elle s'essuyait les mains en soulageant. Elle avait pris l'habitude d'avoir les mains salies par ses études mais le collant était bien la seule chose qu'elle ne supportait pas.

Charles se releva et tourna la tête en direction de Caelia pendant qu'elle avait le dos tourné et se lavait les mains. Il percevait en quelque sorte sa gêne et en venait à se demander s'il en était la cause. A l'extérieur, la pluie commença à tomber à grosses gouttes. Le jeune homme s'approcha de la fenêtre en évitant de se cogner le pied sur une pile de livres sur son chemin. Aden étant un royaume situé en altitude, le temps pouvait changer assez rapidement. La journée avait débuté par un ciel ensoleillé et se terminait sur une tempête. Charles, qui avait connu le climat méditerranéen pendant des années, avait encore du mal à s'y faire.

*Je commence à avoir faim. Je suppose que c'est aussi le cas pour la princesse.*

Charles se dirigea vers la salle de bain. Elle était composée d'une large baignoire, d'un meuble de rangement et d'un double lavabo avec un grand miroir. Il se lava les mains avec l'assiduité d'un chirurgien se préparant avant de pénétrer dans le bloc opératoire. En raison de son travail, le jeune homme se retrouvait souvent avec des résidus de poudre. De ce fait, il se lavait toujours précautionneusement les mains avant de cuisiner. Lorsqu'il eut terminé, il s'essuya les mains avec une serviette prévue à cet effet et sortit une barrette d'un pot rangé dans un tiroir du meuble. Prenant les cheveux qui pouvaient tomber devant ses yeux, il les attacha au dessus de son crâne afin qu'ils ne viennent pas gêner sa vision.

*Parfait.*

Puis il revint dans le salon, retroussa les manches de sa chemise et enfila un tablier noir autour de sa taille, contrastant avec ses vêtements immaculés. Il était prêt pour se mettre au travail.

Une fois qu'elle eut fini de se laver les mains et de les avoir essuyées, Caelia regarda le Comte partir dans une pièce, qui au son de l'eau, lui fit déduire qu'elle était la salle de bain.

Ne sachant que faire, elle regarda vers la fenêtre et s'y dirigea. Posté devant, elle se mit à contempler la nature, qui peu à peu, prenait l'eau. Et pendant ce temps, elle se mit à réfléchir sur les événements qui s'étaient passés aujourd'hui.
La jeune femme n'avait pas eu le temps de souffler une minute, et maintenant, elle en ressentait les effets. Elle avait été de surprise en surprise et d'émotion en émotion.

Le pire dans tout cela était sa rencontre avec Charles. Comment pouvait-elle un seul instant envisagé de dormir ici, à proximité de lui. Il la troublait et la faisait ressentir des choses assez particulières. Elle avait déjà été attirée par avant mais invariablement cela se terminait au bout d'un mois ou deux. On lui avait toujours reproché de trop analyser. Que ce soit les baisers, les caresses, les gestes tendres, paroles, tout était profondément décortiqué. Mais aujourd'hui, elle ne comprenait plus rien.

Mentalement alors, elle se gifla. Elle devait se ressaisir et le considérer comme un parent sans quoi elle risquait de courir à sa perte.

Elle se pencha alors et posa ses coudes sur le rebord lui permettant ainsi de regarder rêveusement le paysage. Caelia adorait la pluie. Marcher, se promener, courir…Cela la faisait revivre. Elle était fascinée par les odeurs qui pouvaient se dégager des fleurs après une courte pluie.

*Si seulement je pouvais sortir*

Perdue dans ses songes, elle n'entendit pas Charles revenir dans la pièce.

Charles ouvrit le réfrigérateur pour récupérer tous les ingrédients dont il avait besoin et les posa sur le plan de travail. Cuisiner pour lui seul était presque une corvée mais lorsqu'il s'agissait de cuisiner pour plusieurs personnes, il y prenait beaucoup de plaisir. Comme l'avait souligné Miguel un peu plus tôt, le jeune anglais cuisinait avec brio. Cependant, il avait oublié de préciser le fait que Charles n'avait pas eu d'autre choix que de potasser des livres de cuisine puisqu'aucun de ses colocataires ne savait faire cuire ne serait-ce que des pâtes, ce qui était un comble pour des personnes qui vivaient en Italie depuis des années.

"J'ai l'intention de préparer des pâtes à la carbonara pour le dîner de ce soir. Souhaiteriez-vous vous joindre à moi?"

Charles se souvenait des soirées estivales qu'il avait passé chez Emilio avant de quitter la maison principale à ses quinze ans. A l'époque, il avait déjà commencé à apprendre à cuisiner avec la femme du chef de famille. Elle s'appelait Elena et avait la trentaine alors que son époux approchait la cinquantaine. Elena se comportait en véritable mère avec les enfants adoptifs d'Emilio, même avec les plus âgés qui avaient presque son âge. C'était une femme qui avait toujours rêvé d'avoir une grande famille mais qui ne pouvait concevoir d'enfants. Néanmoins, ce manque était compensé par la présence des ces jeunes garçons que recueillaient son mari. C'était Elena qui lui avait appris à préparer les repas traditionnels italiens.

*Je n'ai d'ailleurs pas eu l'occasion de la voir avant mon départ pour Aden. Elle doit en être contrariée.*

A cette idée, Charles ne put s'empêcher de sourire. Il savait la force du tempérament d'Elena et qu'il allait sérieusement se faire gronder à son retour à Venise. Bien qu'il n'avait plus de famille biologique, le jeune homme avait trouvé chez les Vezziano une famille encore plus chaleureuse que les Ashworth.

Surprise par la voix de Charles, Caelia sursauta avant de se retourner. Depuis quand était-il là ? Combien de temps s'était écoulé depuis qu'elle s'était mise à rêvasser ? De sa démarche légère, elle s'approcha du comptoir et s'y installa.

"La question est de savoir, si vous désirez de ma présence, Charles. Je peux très bien sortir et aller me trouver quelque chose à manger ailleurs si vous préférez être seul. "

Machinalement, elle posa son menton au creux de sa main, le coude posé sur le plan de travail et regardait l'habilité avec laquelle Charles se mettait à cuisiner. Elle s'étonnait souvent lorsqu'elle voyait certains hommes seuls cuisiner avec une facilité déconcertante. La plupart préférait des plats surgelés à l'apprentissage de la cuisine. Son père, par ailleurs, avait longtemps galéré avant de pouvoir préparé des repas plus élaborés qu'un simple spaghettis.

A cette pensée, elle se mit à sourire sans s'en rendre compte. Son père lui manquait déjà et elle n'avait pas encore eu l'occasion de l'appeler.

"Dites-moi, Charles. Serait-il possible que j'appelle mon père sans qu'il y ait aucun danger ?"

Intérieurement, elle se demandait si Charles verrait un inconvénient, si jamais cela n'était pas installé, d'avoir une connexion à internet. La seule voix de son père ne suffirait pas à la combler parfaitement. Le voir serait un plus même si cela ne remplacerait pas sa présence.

Charles tourna la tête vers Caelia, tout de même un peu surpris. La jeune fille semblait tout-à-fait sérieuse, il lui adressa alors un sourire amusé.

"Pensez-vous sérieusement constituer une gêne pour moi? Au contraire, cela me fait plaisir puisque j'ai toujours l'habitude d'être seul. Je rentre rarement chez moi en Italie, et je n'y reste que très peu de temps quand c'est le cas. Je suis ravi de vous avoir avec moi, vraiment."

De plus, c'était aussi plus simple pour protéger la princesse. S'il pouvait avoir un oeil sur elle, cela lui permettrait de profiter de son séjour à Aden. D'ailleurs, il ignorait quand sa mission prendrait fin. Il supposa que ce serait lorsque Caelia serait enfin hors de danger.

"Contacter votre père? Hmm..."

Charles se mit à réfléchir. Le professionnel de tout ce qui concernait l'électronique, ce n'était pas lui mais William, affectueusement appelé Bill par le reste de la famille. Il supposa que le téléphone était probablement sur écoute car le jeune homme avait été vu en présence de la princesse. Mieux valait éviter de ne pas révéler sa présence si rapidement. Elle pouvait aussi bien le contacter via internet mais Charles restait inquiet, il craignait le même problème qu'avec le téléphone. Il ne s'y connaissait pas beaucoup en informatique, juste ce dont il avait besoin. Après tout, sa spécialité était les armes et l'assassinat.

"Vous pouvez prendre mon téléphone portable qui est posé sur la table."

Charles désigna le téléphone à clapet noir brillant qui, étonnement pour un homme comme Charles, portait un strap de perle fabriqué par Elena pour chacun de ses fils.

"La ligne est sécurisée par ma famille donc il n'y aura aucun risque pour vous de contacter votre père."

Puis il se remit à cuisiner avec habileté pendant que l'eau qui servirait à cuire les pâtes chauffait dans un fait-tout à côté de lui.

Toujours accoudée, Caelia observait les gestes sûrs de Charles et constata qu'il avait des mains bien entretenues. Ces ongles étaient nets et bien coupés. On voyait que ses cuticules étaient soignées et que sa peau semblait douce. Ces doigts étaient fins, déliés et souples semblables à ceux d'un pianiste.

"Je doute que vous continuerait d'être ravi par la suite de ma présence, Charles…
Vivre avec une autre personne engendre des problèmes…plus encore si c'est une personne du sexe opposé…mais bref…"

Caelia sauta de sa place et vint se mettre naturellement près du comte.

"Désirez-vous de l'aide ? Mettre la table…ou autre chose…."

Son regard interrogateur se portait sur la table où ils venaient de poser les livres…On ne la remarquait plus.
D'un autre coté, cela lui permettrait de ne pas appeler son père tout de suite car après un rapide calcul, il devait être deux heures du matin chez elle. Elle l'appellerait plus tard, dans la nuit.

Charles se mit aussi à regarder la table jonchée de livres, si bien qu'on ne pouvait presque plus en voir sa couleur. Alors qu'ils venaient de poser tous ces livres, ils n'allaient pas encore les déplacer.

"Je vous propose plutôt de surveiller la cuisson. Nous dînerons sur la table basse devant le canapé en attendant que nous puissions trouver un endroit où ranger tous ces livres."

Terminant rapidement sa préparation, il déposa tout dans une poêle dans laquelle il avait versé un peu d'huile d'olive. Il ne resterait donc à Caelia qu'à remuer de temps en temps et à surveiller que les ingrédients ne brûlent pas. Laissant cette tâche à la princesse, il se lava les mains dans l'évier et les essuya sur un torchon prévu à cet effet accroché au mur. Sur la table basse, des revues de tous les sujets et en plusieurs langues se mélangeaient et s'entassaient au point qu'elle pouvaient tomber si l'on prenait l'une d'elles. Comme Charles parlait couramment plusieurs langues, il lui était d'autant plus facile de s'instruire. La famille Vezziano était constituée de membres qui venaient du monde entier, une lubie d'Emilio.

"Vous avez dit tout-à-l'heure que de vivre avec une personne du sexe opposé était problématique. Qu'entendez-vous par là?"

Tenant dans ses mains une revue historique sur le royaume d'Aden, Charles fixait Caelia de façon plutôt innocente. Pour lui, il n'y avait rien de problématique lorsqu'il faisait son travail mais il ne pouvait nier que de protéger une personne allait être plus difficile pour lui que les missions qui lui étaient assignées habituellement, à savoir de tuer des gens. Il y avait des personnes au sein de la famille Vezziano qui étaient plus qualifiées que lui dans cette tâche mais il est vrai que quelque part, la désignation de Charles était un bon choix de la part d'Emilio car étant assassin lui-même, il connaissait la façon de penser de ces gens-là et pourrait anticiper toute tentative.

Avant d'aller se placer derrière la cuisinière, Caelia attacha ses longs cheveux avec l'élastique qui se trouvait à son poignet. C'était une habitude d'en avoir un sur elle. Elle ne supportait pas de laisser ses cheveux traîner un peu partout et d'en retrouver dans sa nourriture.

Elle ne les détachait que lorsqu'elle sortait. Généralement, elle les portait en chignon ou en queue de cheval. C'était tellement plus pratique.

Alors que Charles commençait à débarrasser la table basse, Caelia réfléchissait à la manière d'expliquer ce qu'elle avait dit. Pendant ce temps, elle remuait doucement la préparation.

"Hum, ce que je veux dire c'est qu'on ne peut pas se comporter comme on le fait tous les jours. Nous devons imposer des règles pour éviter…euh…certains accidents.
Comme, entrer dans la salle de bain par habitude et découvrir l'autre occupé. Euh…en gros, c'est une question d'intimité…"

Caelia avait un peu de mal à faire comprendre ce qu'elle pensait. Pour elle, il n'était pas simple de vivre avec un inconnu. Elle devrait faire attention à sa tenue du matin, prendre soin de fermer la porte de la salle de bain, ne pas laisser traîner des affaires, etc.

"Le mieux serait d'établir une sorte de…d'horaire ? "

Machinalement, son index vint tapoter l'arête de son nez pendant qu'elle réfléchissait.
Attentive à ce qu'elle faisait, elle n'avait pas remarqué l'expression mystérieuse sur le visage de Charles.

Une odeur appétissante vint chatouiller les narines de la jeune fille qui se pencha légèrement pour en humer le fumet. Une odeur qui lui ouvrait l'appétit. Une chance puisque les pâtes allaient être prête.