Marina triait la pile de papier dont elle s'était mise en retard. Elle savait qu'Ella avait raison, qu'il ne fallait pas qu'ils oublient leur rôle de membres du Conseil des Elèves. Mais après tout, cela avait été uniquement pour soutenir sa meilleure amie que la magicienne y était entrée. Et quand elle souhaitait justement la soutenir, celle-ci la repoussait.

"Attends un peu qu'Aiden soit guéri, on va avoir une sérieuse discussion tous ensemble..."

Puis elle tourna la tête vers Mérion en s'arrêtant de travailler, le regardant avec étonnement.

"Je m'en fiche complet de ces accidents à la noix. S'ils veulent m'affronter, qu'ils viennent. Un vrai combat, ça se fait au un contre un. Ce qui m'énerve, c'est juste qu'en ce moment, j'ai l'impression qu'Ella ne me fait pas confiance. Je suis son amie et pourtant, elle ne me dit rien alors que j'ai bien remarqué que... Oh et puis zut!"

D'un grand coup de son bras, elle envoya valser tout ce qui se trouvait sur son bureau. Mieux valait mettre du désordre que de risquer de casser le mobilier, et c'est d'ailleurs pour ça qu'elle ne tenait pas son ours en peluche dans les mains.

"Je sais pas... Je me sens trahie."

Marina poussa un long soupir avant de laisser son front s'écraser sur son bureau. Elle était trop perturbée pour travailler.

Résignée, elle se leva et se mit à ramasser tout ce qu'elle avait balayé de son bureau sous le coup de la colère. En sentant encore la chaleur de Mérion contre elle, Marina réalisa quelque chose. Bien que proches et étant frère et soeur, Aiden et Ella avaient rarement ce genre de geste l'un envers l'autre. Il était possible de mettre cela sur le compte du fait qu'ils n'avaient pas grandi ensemble mais maintenant qu'elle l'avait réalisé, elle n'allait pas cesser d'y penser jusqu'à ce qu'elle puisse en parler avec son amie pour qui elle s'inquiétait beaucoup.

"Qu'elle soit faible ou forte, quelle importance? Ella est notre amie, nous ne nous soucions pas de ce genre de détails. Aah, quels jumeaux agaçants! Toujours à se préoccuper des choses qui ne sont pas importantes..."

Mais obstinée comme elle l'était, elle n'avait pas dit son dernier mot. Elle déposa en vrac sur son bureau tout ce qu'elle avait ramassé et se dirigea vers le bureau d'Aiden. Les affaires du Président avaient presque été laissées telles quelles. S'appuyant sur le rebord du bureau après d'être retournée vers Mérion, elle croisa les bras en fronçant légèrement les sourcils.

"Au fait, je ne l'ai pas vu ce gars du Ministère aujourd'hui, il viendra peut-être dans la journée. Je le trouve bizarre celui-là. Il rit, dit des choses étranges et rit encore. Je te le dis, il est pas net. Qu'est-ce que t'en penses, Mérion? Tu crois qu'on peut lui faire confiance?"

Le gars dont elle parlait n'était autre qu'Ayato Mura, agent du département de l'éducation du Ministère. Selon ses dires, il avait été envoyé à Moondust pour analyser leur travail mais Marina se doutait qu'il y ait anguille sous roche.

Marina prit un livre sur le bureau d'Aiden et se mit à le feuilleter avec nonchalance. A l'évocation de Mérion sur l'étrange coincidence des évènements, elle hocha la tête en signe d'approbation. La situation lui avait paru étrange à elle aussi.

"Mes parents m'ont dit un jour que les grands cadres du Ministère n'approuvaient pas tellement le fait que ce soit des élèves qui dirigent cette école. Quand Aiden est tombé malade et qu'Ayato est arrivé, je n'ai pu m'empêcher de penser à ce que m'avaient dit mes parents. La famille Valmont est une grande famille de magiciens alors ils savent beaucoup de choses que le commun du monde magique ne sait pas. D'ailleurs, la famille Mura en fait aussi partie, de ces grandes familles."

Durant son enfance, les parents de Marina avaient mis un point d'honneur à lui faire retenir tous les grands noms de la magie, disant que cala pourrait lui servir un jour puisqu'elle était l'une des héritières de leur volonté. Faire perdurer l'esprit des Valmont au sein du monde magique, tel était son devoir en tant que descendante de la famille.

"Ella m'a raconté ce que faisait sa famille à tous les magiciens qui naissaient, c'est vraiment horrible. A voir leur potentiel à elle et à Aiden, je pense que la famille Bromley aurait pu faire partie des grandes familles. De plus, les magiciens n'y naissent que par jumeaux, c'est quand même quelque chose. J'en ai discuté avec mon père au téléphone, il dit qu'il n'a jamais vu ça et m'a conseillé de voir comment ils évoluaient tous les deux, magiquement parlant."

En arrivant sur une page vers le milieu du livre qu'elle tenait dans ses mains, Marina se mit à parler rapidement en allemand, sa langue maternelle. Ella avait récupéré toutes les données qu'Aiden avait laissé à propos du mal qui le clouait au lit mais ce qu'elle tenait dans les mains avait été trop bien caché pour qu'elle le trouve. Relevant les yeux vers Mérion, elle lui fit signe de venir en agitant sa main.

"Viens voir Mérion, c'est pire que ce qu'on peut imaginer."

Elle lui montra un schéma qu'avait dessiné Aiden. Ce dernier, ne sachant pas du tout dessiner, n'avait pas rendu le schéma très esthétique mais l'essentiel était là.

"Il n'a pas trouvé ce qu'il avait et c'est tout à fait normal, nous n'avons pas encore un tel niveau en magie. C'est du niveau d'Études Supérieures, si c'est pas plus. Aiden en a trouvé la structure mais... Regarde, on dirait un labyrinthe. C'est tellement entremêlé et complexe qu'Ella perd complètement son temps à essayer de le défaire de façon traditionnelle. Le type qui a élaboré ce sort est un maître, y'a pas à dire. Respect... enfin, c'est mon côté magicienne qui parle, hein."

Puis vint une idée à la jeune fille. C'était un peu tiré par les cheveux mais en voyant un tel schéma, elle était prête à imaginer les théorie les plus tordues. Malgré son côté jovial et plaisantin, Marina n'oubliait pas qui elle était, l'Horizon Flamboyant du Crépuscule, fierté de la famille Valmont. Faire honneur à son nom était comme un réflexe pour elle lorsque la situation le demandait. Elle donna le livre à Mérion et avança vers son bureau, tournant ainsi le dos à son camarade.

"Et si le Ministère était en cause à propos de la maladie d'Aiden...?"

Se retournant vivement, elle leva les yeux vers le ciel en réfléchissant. Quelque chose la dérangeait dans sa théorie dont elle savait que Mérion ne rirait pas parce-que malgré leurs chamailleries, ils se respectaient. Et c'était bien la raison de leurs disputes d'ailleurs.

"Mais le Ministre n'aurait jamais cautionné ça. S'il voulait Moondust, il aurait pu l'avoir, il en a l'autorité. Il y aurait alors peut-être un conflit au sein du Ministère, ça craints si j'ai raison parce-que l'Aube Noire risque alors de s'en donner à cœur joie."

Prenant son ours en peluche dans les bras, elle continua de réfléchir en caressant le ruban vert qu'il portait autour du cou. Il était temps pour elle de mettre en pratique tout ce qu'elle avait appris jusque là de ses parents en Autriche.

"Il faut qu'Aiden guérisse, on ne pourra pas de débrouiller sans lui si mes craintes s'avèrent fondées. Je ne parle pas de paperasse là, on s'en fiche de ça."

Laisser de côté tout ce qui ne lui plaisait pas car elle jugeait que ça n'avait pas d'importance, c'était du Marina tout craché. Aller à l'essentiel, c'était comme ça qu'elle avait été éduquée.

"Celui qui nous prendra notre école n'est pas encore né, je te le garantis! Pour Aiden et Ella, c'est plus qu'une école, c'est aussi leur foyer. Quand ils auront terminé leurs études, ils n'auront plus aucune maison où retourner alors c'est ici chez eux. Je refuse catégoriquement que Moondust change de propriétaire. Ce sort est comme un avis d'expulsion, tu vas voir le loyer que je vais leur payer moi! Je vais les faire déguster!"

Et voilà, Marina avait commencé à s'enflammer, autant dans le sens figuré que dans le sens propre du terme. Réalisant l'emportement de sa magie, elle éteignit les flammes en caressant la tête de son ourson.

Plus aucun élève ne traînait désormais dans les couloirs. Ayato avançait tranquillement en chantonnant une chanson de son pays natal. Il chantait faux mais cela n'avait pas tellement d'importance puisqu'il ne chantait pas pour les autres. En posant la main sur la poignée de la porte de la Salle du Conseil des Élèves, il ne put réprimer un sourire. Son empathie captait les émotions de ses deux occupants. L'un était méfiant, l'autre plutôt fâché. Ouvrant la porte comme si de rien n'était, il salua Marina et Mérion qui s'étaient remis au travail, mine de rien.

"Bien le bonjour, les jeunes."

Observant autour de lui, il remarqua l'absence d'Ella et l'heure qu'il était lui fit réaliser que les deux secrétaires n'étaient pas sensés être là.

"Ne devriez-vous pas être en cours ce matin?"

S'installant sur un fauteuil confortable près de la cheminée, Ayato sortit son portefeuille de sa veste et y observa une photo en souriant. Il s'agissait d'une photo de lui en compagnie de Béatrice le jour où il lui avait confié son secret qui fut également le jour de leur rencontre. Béatrice était une belle jeune femme aux cheveux blonds et aux yeux bleus. Comme lui, elle venait d'une famille de magiciens plutôt prestigieuse, elle pouvait donc comprendre ce que c'était que de devoir répondre aux attentes de ses proches.

"Ella sèche-t-elle aussi les cours?"

Marina leva la tête vers lui et hocha la tête d'un air attristé avant de se remettre au travail. Ayato dut en conclure que la jeune fille se trouvait probablement avec son frère pour s'occuper de lui. Les membres du Conseil des Elèves se retrouvaient donc à porter un fardeau bien lourd à cause d'un sort qu'il avait lui-même confectionné sans se douter que la cible serait une personne totalement innocente et à des fins grotesquement politiques. Mais Ayato n'avait pas l'intention de laisser celui qui l'avait berné ainsi impuni. Il était de son devoir de procéder aux sanctions que cet homme méritait mais pour cela, il avait besoin d'un Aiden en bonne santé. Il n'avait simplement qu'à attendre le retour de sa chère jumelle afin de lui apporter sa précieuse aide. Il espérait seulement qu'il ne soit pas encore trop tard.

Lorsque Mérion dressa un bouclier autour de lui afin que ses émotions ne puissent pas être lues, Ayato se plut à la comparer à un chaton qui sortait les griffes. Etant le plus jeune des membres du Conseil des Elèves, il était aussi le plus fougueux si l'on pouvait dire mais Marina le concurrençait allègrement en la matière. Seulement, elle n'était pas du genre à passer à l'offensive quand on ne la provoquait pas personnellement.

"Je suis aussi de ton avis. J'avais troué cela étrange qu'on m'envoie à une telle période de l'année mais je comprends mieux maintenant. Je suis allé rendre visite à votre Président tout à l'heure, il est vraiment dans un état misérable."

Baissant les yeux vers la photo qui demeurait dans son portefeuille, il demandait si Béatrice lui tordrait le cou à son retour au Ministère ou si elle avait l'intention de le brûler vif. Riant silencieusement, il releva les yeux vers Mérion et Marina.

"Ces questions sonnent-elles comme des accusations? Si c'est le cas, il faut des preuves pour accuser une personne. Vous faîtes partie du Conseil des Elèves, vous avez forcément des notions de justice. Toute personne qui se voit reprocher une infraction est considérée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été légalement et définitivement établie. C'est ce qu'on appelle la présomption d'innocence."

Ayato se leva du fauteuil et s'approcha des bureaux de Marina et Mérion qui étaient côte à côte. Ils étaient si jeunes et portaient déjà un lourd fardeau. C'était en partie pour cela que le magicien avait refusé de faire partie du Conseil, il ne souhaitait pas être accablé par les responsabilités. Désormais prêt, il les portait avec grandeur et dignité... enfin, la grandeur et la dignité étaient bien dissimulées sous sa personnalité tordue et manipulatrice.

"Vous verrez que le monde des magiciens n'est pas aussi idyllique que ce que vous vivez à Moondust. Cette école ne sera qu'un entraînement pour vous. Visez haut, les jeunes. Ayez de l'ambition et peut-être, qui sait, que vous pourrez changer ce monde perverti par la magie noire et la soif de pouvoir jusque dans ses plus hautes sphères."

Ayato souriait sournoisement mais il était très sérieux. Pour lui, la jeunesse représentait réellement l'avenir, il savait que les élèves de Moondust n'étaient pas aussi faibles et vulnérables que le pensaient les grands pontes du Ministère. Lui seul avait confiance en eux mais un seul homme, aussi puissant autant sur le plan magique que politique pouvait-il être, n'était pas suffisant. C'était à eux qu'il revenait de prendre une décision, celle de se laisser dominer docilement ou de se battre, quitte à prendre le risque de perdre la bataille. De toute façon, ils avaient tout à y gagner.

En lisant la phrase que Mérion lui avait indiqué, Marina pencha la tête sur le côté en haussant un sourcil. D'après son camarade, Ayato était assez puissant pour avoir fait le sort complexe dont ils avaient trouvé le schéma dessiné de la main peu artistique d'Aiden. La jeune fille se mit alors à observer le magicien pendant qu'il leur parlait de choses dont il n'avait pas l'air de tout dire. Puis tout à coup, elle se leva en posant les mains sur son bureau, un regard défiant à l'attention de l'employé du Ministère.

"..."

Mais elle ne dit rien et continuait de le sonder sans le moindre mot, lui aussi la regardait d'un œil interrogateur. Elle espérait peut-être découvrir la vérité dans les yeux d'Ayato mais elle n'y vit pas grand chose, à part qu'il était bien plus malin qu'il n'en avait l'air. Comme elle l'avait présumé dès leur rencontre, il n'était pas très net en tant que personne. L'attrapant soudainement par le col, elle posa son genou sur son bureau et tira le magicien vers elle.

"Je ne te fais pas confiance. Tous les évènements sont trop bien ficelés pour n'être que le fruit du hasard alors si par malheur il arrivait quoi que se soit à l'un des élèves de cette école, je te tiendrais personnellement pour responsable. Quant à l'état dans lequel se trouve Aiden, je ne t'accuse pas mais je t'annonce que tu fais partie des suspects."

Cet avertissement de la part de Marina était on ne peut plus sérieux et lorsqu'elle tenait personnellement quelqu'un pour responsable, c'était loin d'être des paroles en l'air. Elle était capable de se charger elle-même de la punition, qu'elle en ait le droit ou pas.

A l'entrée théâtrale d'Ella, Marina afficha un visage des plus surpris. Il était très rare de voir la jeune fille dans un tel état de colère mais c'était déjà arrivé. Cependant, la magicienne de feu ne se rappelait pas de l'avoir déjà vu avec un tel éclat dans le regard. Lorsqu'Ella lui confia la discipline des élèves qu'elle avait ramené, Marina lâcha Ayato et récupéra Nounours qu'elle avait fait tomber sur le sol.

"On va bien s'amuser les gars. Hein? On a même un 4° cycle...? C'est désolant."

Nounours dans les bras, Marina étira un grand sourire et poussa un petit rire sadique. Les élèves captifs se demandèrent à ce moment-là qui était la pire des deux jeunes filles. Ils connaissaient la réputation de Marina et savaient qu'elle ne leur ferait pas de cadeau.

"Dis Nounours, qu'est-ce qu'on va leur faire à ces enfants qui n'ont pas été sages? Si on déploie les flammes, on risque de leur faire mal et leurs parents viendraient nous chercher des noises. C'est vraiment la dernière chose dont on ait besoin en ce moment."

Approchant la tête de l'ourson à son oreille, elle hochait la tête en souriant avec malice.

"Qu'est-ce que tu dis? Ooh..."

Marina avait l'air un peu folle, ou simplement enfantine, mais ce comportement faisait partie du petit délire qu'elle partageait avec son ourson en peluche, son fidèle Nounours qui l'accompagnait depuis plus de dix ans maintenant. Dans la famille Valmont, tous les magiciens étaient de type Équipement. Son père utilisait un jeu de cartes tandis pour sa mère, c'était une batte de baseball. Autant dire des objets assez communs. Quant à sa grande soeur, et cela faisait partie des raisons pour lesquelles Marina l'élevait au rang d'idole, elle utilisait un ancien revolver pour OTM. La cadette trouvait que c'était trop la classe.

"Je vais tellement vous sermonner selon la tradition de ma noble famille, à la façon de ma vieille grand-mère Elizabetha, si bien que vous me supplierez de me taire. Oh le grand cauchemar, comme je n'aimerais pas être à votre place, huhuhu."

Dans son coin, avec les élèves surpris par cette sanction en apparence inoffensive mais qu'ils allaient regretter bien vite, Marina commença par leur énoncer les règles de base de tout magicien ainsi qu'à leur raconter l'histoire de son arbre généalogique très ancien. A force de se faire sermonner, la jeune fille connaissait douloureusement par cœur toute l'histoire. Selon elle, la torture mentale marquait plus les esprits qu'une douleur physique.

Ayato sourait depuis qu'Ella était entrée dans la salle avec une détermination nouvelle dans les yeux. Il n'avait pas besoin de son pouvoir pour le ressentir, il suffisait simplement de la regarder agir. Quant à Marina, il fut surpris de constater qu'elle n'avait pas choisi d'utiliser la violence, peut-être avait-elle pris conscience que cela ne résoudrait rien. En tout cas, il put détecter le plaisir qu'elle y prenait ainsi que la crainte qu'éprouvaient les élèves sanctionnés. Rapportant son attention sur Ella qui était au courant de sa visite à Aiden, il remarqua le sourire annonciateur de mauvais présage qu'elle arborait.

"Je suis Ayato Mura, du département de l'Éducation. J'ai été envoyé ici pour évaluer votre travail disons, mais j'ai eu la surprise de constater que je venais étrangement à un mauvais moment. Comme je suis impartial, je ne me suis bien entendu pas cantonné à ce que je voyais. Je me suis donc renseigné auprès des élèves eux-même afin de savoir comment vous vous en sortiez en général."

Et la majorité des élèves avaient été formels. Ils appréciaient le Conseil des Élèves et admiraient leurs membres. Celui qui était le plus adulé était bien entendu le Président, qui était agréable avec tout le monde et qui faisait de son mieux pour rendre la vie meilleure dans cette école. Ils avaient d'ailleurs souvent demandé à Ayato s'il avait des nouvelles d'Aiden, certains semblaient très inquiets de son absence, autant pour son état de santé que sur l'avenir de l'école sans lui.

"J'ai pu effectivement constater de l'état du Président par moi-même. Serait-ce lui qui t'aurait fait part de cette information?"

En tant qu'aîné et employé du Ministère, Ayato se permettait de tutoyer Ella. Il avait un peu de mal avec le vouvoiement envers les personnes plus jeunes que lui. Il avait également tutoyé Béatrice le jour de leur rencontre, elle en avait rapidement fait de même. Comme ils avaient le même âge, cela ne posait pas vraiment un problème.

*J'ai besoin de connaître ses derniers symptômes afin savoir à quelle étape en est le sort. Mais s'il lui a parlé...*

Non loin d'eux, Marina était en plein massacre mental. Ayato trouvait que cette méthode était plutôt étrange et désuette mais elle fonctionnait étonnamment bien.

Ayato n'apprécia pas grandement ce qu'il perçut comme une métaphore de la part d'Ella mais il ne s'en soucia pas réellement, ce n'était pas le moment.

*Insinue-t-elle que je sens mauvais? Ce n'est pas très gentil.*

Il garda néanmoins le sourire, il ne se considérait absolument pas en tort dans l'histoire. Son supérieur s'était servi de lui et il n'hésiterait pas à utiliser les grands moyens pour l'accabler et le punir comme il se devait. L'homme avide de pouvoir se rendrait très bientôt compte à quel point il était petit, même très petit.

"Il aurait pu l'être, les magiciens ont bien plus de ressources qu'ils ne peuvent eux-même le penser. Et pour ce qui est de la coïncidence, je suis du même avis que toi et je peux te confirmer que ça n'en est pas une. J'ai pu le constater de la bouche même de mon supérieur."

Ayato s'installa confortablement sur un fauteuil qui faisait face au bureau d'Aiden, servant à recevoir les invités et ainsi que ceux qui prenaient rendez-vous. Ce n'était pas le première fois qu'il y prenait place et ce ne serait certainement pas la dernière.

"Mais pour ce qui est de son cas, j'en fais mon affaire. J'ai un compte à régler avec lui, il n'obtiendra que le châtiment qu'il mérite."

Les mots d'Ayato sonnaient menaçants. D'ailleurs, il était étrange qu'un simple employé comme lui se permette de tels propos envers son supérieur hiérarchique. Seulement, le magicien ne craignait pas de se faire virer. Désormais, il s'en fichait totalement, il avait mieux à faire que de travailler sous les ordres de cet homme perverti.

Ayato percevait bien qu'Ella le suspectait, tout comme Marina et Mérion, il pouvait le deviner rien qu'au choix de ses mots ainsi qu'à son intonation. Allongeant ses jambes et posant ses bras sur les accoudoirs du fauteuil, il prit un air très décontracté.

"En général, ça reste verbal en faisant beaucoup de manières pompeuses et hypocrites. C'est la première fois qu'ils s'en prennent à lui de cette façon. Je pense que c'était plutôt dans une tentative désespérée en voyant qu'Aiden ne cèderait pas le moins du monde. Il m'a l'air d'avoir une très forte volonté. Malheureusement, ce n'est pas ce qui le sortira de l'impasse cette fois-ci."

Voyant les poignets d'Ella briller sous les manches de sa veste d'uniforme, il remarqua qu'elle venait d'utiliser sa compétence de privation des sens afin de rendre leur conversation privée.

"La question n'est pas dans quel camp je suis. Je me dois de rester impartial donc je suis du côté de ce qui est juste. Les gens n'ont rien à voir avec mon jugement. Autant éviter de tourner autour du pot plus longtemps."

Ayato se redressa sur le fauteuil et son sourire s'effaça à moitié, il était temps d'entrer dans le vif du sujet.

"Techniquement, aucun de vous ne peut défaire le sort jeté sur Aiden. Je suis très bien placé pour le savoir car c'est moi qui l'ai créé et je ne peux moi-même le défaire. Mon supérieur m'avait pourtant dit de le confectionner à l'attention d'un mage noir mais il m'a menti. Me donner l'ordre par téléphone, c'était très astucieux de sa part. J'ignorais que le sort avait été utilisé à l'encontre du Président jusqu'à ce que j'aille le voir tout à l'heure. Et je ne suis pas du genre à faire les choses à moitié, ce sort est vraiment très complexe comme tu l'as certainement remarqué. Les sorts de précision sont ma spécialité."

Puis lorsqu'Ella évoqua le cheval du grand château blanc, Ayato resta perplexe quelques secondes avant de se mettre à réfléchir. Maintenant, il savait où en était le sort et cela n'anonçait rien de bon pour Aiden.

"Il est aphasique. Il pense un mot mais en dit un autre, ses phrases peuvent te sembler n'avoir aucun sens mais elles en ont réellement un. Il suffit de savoir décoder ses propos, ce qui peut être difficile et le sens des mots peut avoir un sens différent selon les personnes. Autant dire que c'est un casse-tête."

Réfléchissant, il se mit à penser à voix haute.

"Alors comme ça il est aphasique... Et il s'est également souvenu m'avoir vu, il est quand même épatant, ce garçon."

Ayant soudainement un grand respect pour Aiden, il se mit à rire alors que la situation ne s'y prêtait pourtant pas.

"Quand j'étais dans la chambre, il m'a vu pendant un instant et il a dû me reconnaître. Je suppose qu'il a peut-être entendu ma conversation avec mon supérieur ou je ne sais pas exactement parce-que le cheval du grand château blanc en question... Il s'agit de moi. Il a vraiment cherché ses mots très loin, c'est incroyable. Mon nom de magicien est Cavalier de l'Échiquier donc je suis le cheval parce-que c'est ainsi qu'est représenté le cavalier dans un jeu d'échecs. Quant au grand château blanc, je pense qu'il s'agit du Ministère."

*Il les a vraiment cherché loin, quelle drôle de personnalité il doit avoir, hahaha. Mais je n'aurait peut-ête jamais deviné si Béatrice ne m'appelait pas le Canasson quand elle est en colère...*

Reprenant un air sérieux, Ayato se racla la gorge et se leva du fauteuil. Ayato était assez grand, même plus grand qu'Aiden qui était de taille moyenne. Il n'était pas pour autant un géant mais les gens avaient souvent tendance à le reconnaître de loin, notamment dans son pays natal où la taille moyenne des hommes était plus petite qu'en Europe.

"Quoi qu'il en soit, mieux vaut ne pas perdre de temps, le sort n'est pas loin de sa dernière étape. J'ai bien dit que techniquement, aucun de vous ne pouvez défaire le sort qui le retient prisonnier à part lui-même, mais il n'a pas l'air d'en avoir la force. Mais vous avez la chance tous les deux d'être jumeaux et pas seulement cela. Vous aviez pourtant la solution juste sous vos yeux mais il est vrai que ce n'était pas évident d'y penser."

Il prit le poignet d'Ella et lui montra sa main ouverte en lui adressant un sourire bienveillant.

"Que vois-tu? N'y a-t-il pas une chose qui peut te mener à lui?"

Ayato parlait bien entendu de la tache de naissance en forme de papillon sur le pouce, jumelle à celle d'Aiden.

"Il faut bien entendu qu'il t'ouvre le passage vers son esprit mais ce sera mon rôle. Tu n'auras qu'à jouer le tien en tant que gentille petite sœur. C'est toi, la clé pour sauver sa raison, Ella. Et personne d'autre."

Les mots d'Ayato avaient été prononcés de façon à provoquer un certain impact sur Ella, afin qu'elle reprenne espoir avec confiance.

Ella avait soulevé un point important qui le fit sourire plutôt amèrement. Pour un sort ordinaire, il n'était pas très difficile de le défaire, encore suffisait-il d'en avoir les capacités. Mais pour un sort beaucoup complexe comme ceux que confectionnait Ayato, c'était très différent. Le niveau était bien au-dessus de ce qu'ils pouvaient apprendre à Moondust. Pourtant, le magicien avait terminé ses études depuis peu de temps mais il s'était intéressé à ce type de sort depuis bien plus longtemps.

"Il est fait de façon à ne pas pouvoir le défaire. Il n'y a que la personne concernée qui le pourrait mais le sort a bien été fait de façon à ce qu'il soit si affaibli autant physiquement que psychologiquement afin qu'il en soit incapable. Chaque personne possède une faiblesse en elle contre laquelle elle ne parvient pas à lutter malgré les années."

Ayato en possédait une lui aussi, une faiblesse au fond de lui qui demeurait depuis longtemps. Il avait préféré vivre dignement avec plutôt que d'essayer de la combattre vainement. Selon lui, les faiblesses faisaient partie de toute personne, c'était ce qui les rendait humain.

"Je ne peux pas le défaire, c'est indiscutable. C'est ainsi que fonctionne ce sort, ce serait pourtant dans mes compétences si c'était possible. C'est tout de même moi qui ai créé ce sort, je le connais sur le bout des doigts. Pour ce qui est de t'ouvrir le passage, c'est aussi un procédé compliqué que je peux accomplir justement parce-que je suis le créateur du sort."

Cherchant ses mots pour expliquer le déroulement de ce procédé à Ella, il remarqua que Marina était toujours en train de parler de sa famille et de ses méandres. La famille Valmont était très vaste et très ancienne, il y avait de quoi raconter. Quant aux élèves punis, ils semblaient en avoir déjà assez mais la jeune fille grondait ceux qui perdaient le fil afin de les rappeler à l'ordre.

"Je peux le rendre lucide quelques instant mais ce temps sera très limité. A ce moment-là, il n'hésitera certainement pas à te montrer ce qui le torture. Après, ce sera à toi de jouer mais tu devras faire vite, je ne tiendrai pas longtemps. Après, le seul moyen de savoir si ça a marché, c'est d'attendre qu'il se réveille et ça peut prendre du temps. Je n'ai jamais vu personne se libérer de ce sort donc je ne peux pas te dire exactement ce qu'il en sera après."

D'un geste de la main et en se courbant avec élégance, il invita Ella à aller réveiller le prince charmant avant que ne vienne la dernière étape : la folie irréversible.

Après le départ d'Ella et Ayato, Marina ne s'était pas aperçu de leur absence avant quelques minutes. Alors qu'elle racontait l'histoire de sa grande tante Sophia née en Bulgarie au XIX° siècle, elle s'était soudainement interrompu au grand soulagement des élèves punis. La jeune fille se mit à regarder tout autour d'elle. Il ne restait que Mérion qui avait tranquillement continué de travailler comme si de rien n'était.

"Hein? Ils sont partis? Mince, je ne m'en suis même pas aperçue."

Elle se mit à regarder une deuxième fois et conclut qu'ils étaient bel et bien partis. Marina se trouva un peu bête sur le coup, de ne pas s'en être rendue compte. Pleine d'espoir, elle bondit pour se relever.

"Peut-être qu'il vont guérir Aiden!"

Enthousiasmée par cette idée, elle se tourna vers Mérion, les yeux pétillants d'espoir.

"Dis Mérion, tu crois que c'est ça? Qu'Aiden va enfin revenir?"

L'un des élèves captifs tenta de fuir mais Marina restait néanmoins vigilante. Elle se retourna vivement vers l'élève fugueur et manqua de lui donner un coup de pied. Elle arrêta son geste à quelques centimètres. Mieux valait qu'elle ne le touche pas car les membres de sa famille étaient naturellement forts et entraînés depuis l'enfance à porter des changes lourdes afin de renforcer leur muscles et d'améliorer leur souplesse.

"Où est-ce que tu vas toi? Je ne t'ai pas encore raconté l'histoire du cousin du Général Ferdinand Valmont. Il aimait tellement faire des farces qu'on lui a coupé les mains pendant son sommeil. Dis, tu vas encore rester avec nous, hein?"

Le regard de Marina se fit oppressant, si bien que l'élève n'eut d'autre choix que d'accepter.

Lorsque Marina avait redescendu l'arbre généalogique jusqu'à son petit frère, elle avait enfin terminé de raconter l"histoire de sa famille. Elle n'eut même pas le temps de leur souhaiter une bonne journée que les élèves captifs s'étaient déjà enfuis de la Salle du Conseil des Élèves.

"Ils ont si hâte d'aller en cours? Quelle énergie..."

La jeune fille se leva, motivée, et se mit à réfléchir à propos de tout ce qu'elle pourrait faire dans la matinée. Elle avait plus envie de discuter que d'écrire des lettres ou de classer de la paperasse. De toute façon, Mérion faisait cela très bien. Elle décida alors de remettre les portes dans leurs gonds qu'Ella avaient quelque peu envoyé valser lors de son entrée théâtrale. Comme elle avait beaucoup de force, elle put le faire sans l'aide de personne mais il est vrai que ces portes séculaires pesaient énormément. Elle se débrouilla seule mais pas sans difficulté. En ramassant ensuite un fauteuil qu'Ella avait aussi fait tombé, elle se souvint des réunions qu'ils organisaient ensemble avant qu'Aiden ne tombe malade. Chacun installé sur un fauteuil, ils discutaient en savourant une tasse de thé avec des biscuits que la Vice-Présidente se chargeait de préparer. Marina aurait pu aussi le faire car ce n'était pas l'envie qui lui manquait. Seulement, elle avait le chic pour cramer tout ce qu'elle cuisinait. Tous ces plats avaient donc un goût commun entre le brûlé et le cramé, quelque chose de vraiment infâme.

"Les réunions me manquent beaucoup. Surtout qu'on en a vraiment besoin en ce moment, ça nous permettrait de faire le point sur la situation..."

Nostalgique, elle s'installa sur son fauteuil habituel et se mit à observer la Salle du Conseil vu de cette place. Elle n'avait jamais voulu entrer au Conseil des Élèves mais elle s'y plaisait finalement beaucoup.