II. Soirée de la Princesse Caelia

Prenant une mine déconfite en le voyant démarrer, Caelia ne put s'empêcher de pousser un soupir de frustration. Même si il trouverait un moment pour qu'ils s'échappent, le fait d'y aller, de devoir serrer la main à ces inconnus, parler, éviter de commettre des impairs et qui plus est, devoir rester sur ces échasses et être privée de se comporter normalement à l'égard de Charles, tout cela la rendait malade.

"Tu n'es vraiment qu'un sadique. Tu sais pertinemment que je déteste la foule et plus encore que l'on me regarde. Crois-moi bien que je te le ferai payer Charles Ashworth…"

Un doux sourire éclaira son visage et elle n'hésita pas un seul instant pour poser sa tête sur l'épaule de son compagnon. Délicatement, elle caressait du bout de l'index la main du jeune homme. Comme celui-ci avait la peau douce, se disait-elle. Mais son geste s'arrêta brusquement lorsqu'elle entendit sa question.

Il est vrai qu'elle n'avait rien dit mais, elle n'était pas certaine des sentiments que ressentait Charles pour elle. Etait-ce de l'attirance ou des sentiments beaucoup plus profonds?

"Pour citer un auteur que tu apprécies, voici ce que je te répondrai : "Il faut juger les sentiments par des actes plus que par des paroles."

Osant lever ses yeux vers lui, elle attendit une réaction de sa part. Ce qui ne se fit pas attendre. La voiture s'arrêta de nouveau et Caelia put s'approcher de lui pour l'embrasser passionnément.
Tout était si facile avec les gestes et pourtant, c'était bien la première fois qu'elle utilisait cette manière. Elle qui était une littéraire, préférait en autre temps, déblatérer une phrase pour prouver son amour.

Cependant, elle fut étonnée de voir Charles réagir à son baiser et c'est haletante qu'elle mit fin à ce moment magique.

II. Soirée de la Princesse Caelia - Page 2 Avav10

Quand Charles avait dû s'arrêter à un stop, Caelia en avait profité pour lui donner un baiser bien différent de celui qu'il lui avait donné, qui paraissait plus timide à côté. Mais ce n'était pas pour lui déplaire, au contraire. Ce baiser lui avait laissé une sensation agréable sur les lèvres.

"Oh, je vois très bien ce que tu veux dire."

Puis il se mit à sourire, amusé, avant de franchir le carrefour désert auquel il avait marqué le stop bien plus que nécessaire.

"Mais ne crois pas que cela te fera éviter cette soirée. Ta présence ce soir compte beaucoup aux yeux de tout le royaume. Je serai à tes côtés tout le long et si tu fais une erreur, je saurai la rattraper. Je n'apprécie guère non-plus ce genre de mondanités mais j'en ai l'habitude."

Gardant encore la sensation de ce baiser, il continua à sourire pendant un bon morceau du trajet dont il ne dépassait pas les 90 km/h, vitesse limite autorisé sur cette route. D'ordinaire, il optait pour une conduite un peu plus dynamique dans les 150 km/h.

*Nous y sommes presque.*

En entrant dans la capitale, limitée à 50 km/h, Charles s'autorisa à prendre la main de Caelia et à lui donner un baisemain, comme un chevalier à la princesse qu'elle était.

Soupirant une nouvelle fois de déception, Caelia se carra dans son siège, faisant mine de bouder. Bien sûr que tout le monde attendait sa venue avec impatience. C'est ce qu'on n'arrêtait pas de lui dire. A peine l'avion avait-il atterrit que cette phrase avait été le commencement de tout.

Si la jeune fille acceptait l'offre de son grand-père, devait-elle s'attendre à ce genre d'événement régulièrement ? Et en quoi consistait réellement le travail d'un monarque ?
Serait-elle obligée de vivre au palais ? Loin de Charles ? Et qu'adviendrait-il de son père dans cette histoire ?

Au fur et à mesure que la voiture s'avançait dans la ville, Caelia ressentait de fortes crampes à l'estomac. Des barres comme elle en avait souvent aux examens. Un stress qui vous saisissait et qui vous empêchait de penser correctement.
D'une main, elle ouvrit son sac à main et vérifia que ses anti-douleurs avaient bien été placés dedans. Cependant, elle espérait ne pas en arriver là.

Arrivé à destination, le jeune homme arrêta la voiture avant d'en sortir pour l'aider. Inéluctablement, sa main s'y déposa dans la sienne et Caelia fit un effort surhumain pour s'extirper de là. Son cocoon s'éloignait petit à petit et bien que Charles fût à ses côtés, la jeune fille palissait à vue d'œil.

*Par pitié, faites que cela se termine rapidement !*

Alors qu'ils pénétrèrent dans le hall, les livrées s'empressèrent de les saluer avant d'aller les annoncer. Le bruit de ses talons sur le marbre résonnait dans toute la pièce et n'avait rien de rassurant.
Avant de passer la porte de la salle de Bal, Caelia pressa la main de Charles avant de lui prendre le bras.

Aux côtés de Caelia, Charles pouvait sentir le stress de la jeune femme. Lorsqu'elle lui prit le bras, il se pencha un peu vers elle pour lui glisser discrètement quelques mots rassurants avant de se redresser et d'affronter la foule qui faisait sa révérence à mesure de leurs pas, ou plutôt de ceux de leur princesse.

*Je ne détecte aucun danger pour le moment.*

A l'affut de la moindre menace, Charles était prêt à sortir son arme à n'importe quel moment pour protéger Caelia. Il sentait à quel point elle s'accrochait à son bras, alors il se devait de ne pas faillir. Vers le fond de la salle de réception se trouvait le Roi sur un trône d'or massif, héritage de ses ancêtres les plus anciens. Et à ses côtés se tenait sa descendance. Autrement dit, les autres candidats à la couronne, ceux qui en avaient après la vie de Caelia. Charles savait qu'il ne tenteraient rien dans un tel lieu, et surtout en la présence du souverain.

"Vois-tu les gens qui sont avec le Roi? Ne leur fais jamais confiance, ce sont eux qui veulent prendre ta place d'héritière légitime."

Bien que Caelia ne souhaitait pas de ce trône, elle devait d'abord rencontrer ceux qui pouvaient y accéder si elle le refusait. L'oncle de Caelia était un trentenaire qui portait la moustache et l'arrogance sur son visage. Il était celui qui aurait dû succéder au Roi si l'existence de la princesse n'avait pas été découverte. A côté de lui, sa femme se complaisait à recevoir des éloges sur sa beauté qui apparaissait bien terne à côté de celle de sa nièce. Puis une troisième personne, plus effacée et plus âgée qu'eux n'était autre que le neveu du Roi. Il avait l'air plutôt gentil, mais seulement l'air. Charles avait eu l'occasion de discuter avec lui une fois et cet homme lui avait laissé une très mauvaise impression. Enfin, une quatrième personne, se tenant le plus près du Roi. C'était une femme aux longs cheveux blonds, presque la trentaine selon le jeune homme, une parente éloignée de la famille qui était prête à tout pour se faire couronner reine.

*J'ai l'impression de l'emmener dans la fosse aux lions.*

En arrivant devant le Roi, Charles s'arrêta et fit signe à Caelia d'en faire de même. Décidant de respecter exceptionnellement le protocole, il fit une brève révérence pour saluer le souverain.

"Bonsoir votre Majesté. Je suis ravi de constater que vous avez meilleure mine depuis la dernière fois que nous nous sommes rencontrés.
-J'en suis ravi également. Caelia, ma petite-fille, tu es absolument magnifique. Je suis très heureux que tu aies accepté de venir ce soir bien que je doute que tu ne sois habituée à ce genre de fête. Si tu le désires, messire Ashworth pourra te raccompagner assez tôt."

Charles adressa un sourire au Roi en acquiesçant, il accèderait volontiers à cette requête.

S'étant composé un masque dès son entrée en salle, Caelia observait tout ce petit monde qui se retournait sur leur passage. Avoir Charles à ses côtés la rassurait quelque peu et s'efforçait de penser que tu irais bien. D'ici quelques heures, tout ceci serait derrière elle et pourrait retrouver la quiétude de leur maison. Avec amusement, elle constata que "leur" était venu tout seul. Etait-ce donc ainsi qu'elle considérait la demeure de son compagnon ?

D'un pas ferme comme elle ne l'avait jamais eu, la jeune fille se laissait guider tout en écoutant attentivement la voix de Charles. Ainsi donc ces personnes étaient de sa famille. Il ne lui fallut que quelques secondes pour ressentir l'animosité qu'ils avaient à son égard. Rien qu'à cela, Caelia sentit rugir son caractère de feu. Laisser ce genre de personnes sur le trône n'apporterait rien de bon et elle se sentait prête à relever le défi par simple esprit de contradiction. Mais cela était un jeu dangereux.

Lorsqu'ils arrivèrent devant le roi, Caelia salua d'une révérence gracieuse son grand-père.

"Je vous remercie de cette invitation, Sir."

Son stress semblait s'être envolé et sa voix parvenait comme une douce mélodie aux personnes qui se trouvaient au alentour. Un doux sourire éclairait les traits de la jeune fille avant qu'elle ne continue à s'adresser à son grand-père.

"Il aurait été mal venu que je refuse de participer à un tel événement. Décevoir tout ce monde alors qu'ils avaient travaillé durement, aurait été une chose insupportable à mes yeux."

Les yeux de son grand-père se mirent à briller à mesure qu'elle parlait. Avait-elle fait ce qu'il fallait ? A coté d'elle, Charles restait immobile bien qu'elle sentait son regard se promener discrètement.

Charles se retint de sourire plus que de raison, il y avait pourtant de quoi avec ce que venait de dire Caelia.

*Et c'est elle qui me demandait de ne pas y aller...*

Cependant, les regards que lui lançaient les autres membres de sa famille le rappela à la réalité de la situation de la princesse. En voyant cette dernière se comporter de façon aussi correcte et sentant la pression de sa main sur son bras, Charles se demanda si elle avait finalement pris sa décision. Si c'était le cas, il était ravi d'avoir insisté pour la faire venir ici. Ce n'était qu'en pouvant voir la situation de ses yeux qu'elle pouvait réellement se rendre compte de sa position. Quant au Roi, il semblait absolument comblé. La seule présence de sa petite-fille, la fille de son enfant préférée, lui avait même redonné quelques couleurs.

"J'attendrai encore quelques jours avant d'accueillir ta décision à propos de ma succession, quelle que soit ta réponse. C'est un choix qui ne se fait pas à la légère, je le conçois très bien."

Charles adopta alors son visage qu'il affichait lorsqu'il était concentré sur son travail. Il remarqua que l'oncle de Caelia le fixait avec insistance. Le jeune homme en déduit alors que c'était lui qui avait envoyé les hommes qui les avait attaqué la semaine dernière, et probablement aussi celui que William avait assommé avec son tazer. Le regard de Charles se fit si transperçant que le prince ne put que détourner le regard, indigné devant une telle arrogance à son égard princier.

"Princesse, allons vous présenter à vos invités. Vos Altesses."

Il les salua d'une nouvelle révérence en emmena Caelia vers un autre côté de la salle.

"Alors, quelles sont tes impressions?"

Ils marchaient lentement vers un groupe de personnes qui attendaient la princesse, tentant de grignoter discrètement un peu de temps rien que pour eux.

A la mine réjouie de son grand-père, le cœur de Caelia se serra quelque peu. Sa décision n'avait pas encore été prise mais elle s'en voulait déjà de donner tout ce tracas à celui-ci. Certes, elle n'avait rien à lui devoir mais comme toujours, elle sentait obligée de le faire.
Elle détestait cette partie d'elle qui la poussait à combler le désir des autres.

"Je vous remercie de votre compréhension, Majesté. Il va de soi que ma réponse ne saurait tarder."

A ces mots, elle put remarquer le tressaillement de sa tante et du neveu. Ainsi donc ceux-ci pensait qu'elle avait déjà accepté la place. Cela était intéressant. Mais peut-être pas pour son compagnon qui aurait fort affaire avec eux.

Enfin Charles s'adressa à elle. D'un signe de tête, elle lui répondit et fit une nouvelle fois une révérence, avant de s'éloigner avec naturel. Naturellement, elle répondait d'un sourire les personnes qui les saluaient.

"Si je te dis que je déteste ma famille et que j'ai l'impression d'être un morceau de viande qu'ils veulent se partager, tu me croirais ?"

Accordant son pas au sien, la jeune fille appréciait cette brève pause que lui accordait Charles.

Autour d'eux, les invités les contemplaient avec admiration. Charles et Caelia étaient tous deux d'une élégance sans pareille et allaient vraiment bien ensemble, comme si c'était parfaitement naturel qu'ils soient ensemble.

"Je vois ce que tu veux dire, j'ai déjà eu ce sentiment auparavant. Sauf que ma famille, elle, est bien plus menaçante et intimidante. Disons aussi que nos familles sont autant dangereuses mais à leur échelle."

Lorsqu'ils arrivèrent à un premier groupe de nobles et de riches personnes qui leur fit une révérence, Charles et Caelia se présentèrent brièvement avant d'aller vers un autre groupe. Ils butinèrent ainsi dans la salle pendant un moment. Bien entendu, la ressemblance de la princesse avec sa mère fut souvent soulignée ainsi que sa beauté et son amabilité. Charles, occupé à assurer la sécurité de Caelia, n'était guère bavard. De toute façon, il s'ennuyait toujours dans ce genre d'évènement et c'était déjà le cas. Il n'avait qu'une hâte, c'était de rentrer et de se reposer sur le canapé sur lequel il avait élu domicile depuis l'arrivée de sa colocataire.

"Tes pieds te font-il souffrir dans ces chaussures? Je sens tes pas plus las depuis quelques minutes."

Charles dirigea Caelia vers un coin de la salle caché derrière un rideau qui servait probablement à entreposer le matériel lorsque la salle de réception n'était pas utilisée.

Suivant naturellement Charles, Caelia pouvait constater autour d'elle, les regards envieux des Dames. Son compagnon brillait par son élégance et son charme innocent. La jeune fille était certaine qu'elles n'hésiteraient pas à lui sauter dessus si jamais celle-ci ne l'abandonnait ne serait-ce que quelques secondes.

"Magnifique ! Cela nous fait un point commun à mettre sur la liste. Il faudrait que j'aille les remercier…"

Papillonnant de droite à gauche, à saluer les invités, à échanger quelques mots, Caelia put constater à quel point cela pouvait être épuisant de paraître ce qu'elle n'était pas. Car au fur et à mesure de leur ascension, elle sentait monter la moutarde au nez. Etait-on obligé de rappeler à chaque fois la ressemblance étonnante entre la défunte mère et la fille ? Qu'auraient-ils dit réellement si elle ne lui avait point ressemblé ?
C'est donc avec ravissement qu'elle vit arriver son salut lorsque Charles la conduisit à l'écart.

Grimaçant pour elle-même, elle put se rendre compte à quel point ses pieds la faisaient souffrir.

"En effet, je viens de le remarquer…Mais cela n'est rien."

La jeune fille soupira tout en se demandant l'heure qu'il pouvait être. Elle en avait assez de tout ce monde, de tout ce bruit.

"Penses-tu que nous puissions y aller ? J'en ai assez de tout ceci…"

D'une voix, légèrement suppliante, fut accompagné de son regard attristé. Elle espérait ardemment que celui-ci lui réponde par l'affirmative. La migraine qui semblait avoir disparu quelques heures auparavant, lui battait les tempes fortement.

Sortant son téléphone portable d'une poche de sa veste, Charles se mit à regarder l'heure qu'il était et put constater que Caelia avait tenu bon. Il composa alors un numéro sur l'appareil qu'il porta ensuite à son oreille.

"Charles Ashworth. Pourriez-vous me passer sa Majesté, s'il vous plaît?"

Le roulement d'yeux qu'il fit ensuite démontra que son interlocuteur était probablement en train de lui faire un sermon à propos du protocole ou de ce genre de politesse qui était de rigueur. Après tout, n'importe qui ne pouvait pas demander le Roi. Mais il put quand même l'avoir au téléphone.

"Votre Majesté, la princesse ne se sent pas très bien. Me donneriez-vous votre accord pour la raccompagner dès maintenant?... Très bien, nous serons là... Au revoir."

Rangeant le téléphone dans sa poche, il adressa un sourire à Caelia qui semblait attendre désespérément qu'il accède à sa requête. Il hocha la tête et lui tendit son bras.

"Nous pouvons partir à présent, Caelia. Tu n'auras plus qu'à supporter ces chaussures seulement jusqu'à la voiture. Pour en sortir, je te porterai, ce n'est pas un problème. Tu as déjà fourni beaucoup d'efforts ce soir."

Puis avec une discrétion que la princesse lui connaissait déjà dans ses pas, Charles l'emmena vers la sortie en se faisant à peine remarquer par quelques personnes qu'ils saluèrent poliment pour ne pas éveiller leurs soupçons. La salle adjacente était le hall du palais où quelques hommes en costume traditionnels montaient la garde. Dans la grande allée à l'extérieur, la voiture de Charles était restée là où il l'avait garée. En voyant la carosserie aussi nette, il se demanda quand ce véhicule finirait en épave. Il n'avait jamais eu de chance avec les voitures malgré son habileté au volant. Disons que son métier était plutôt dangereux, il tombait donc sous le sens que ses adversaires n'attendaient pas qu'il soit à pied pour l'attaquer.

*Je pense que William est déjà rentré en Italie à cette heure-ci.*

Il fit d'abord monter Caelia et partit ensuite s'installer sur le siège conducteur avant de démarrer en trombes et de faire rapidement apparaître le château d'Aden loin derrière eux dans le rétroviseur.

Soulagée d'être enfin assise, Caelia laissa échappé un petit soupir de joie. Elle n'attendait qu'une chose, c'était de rentrer pour enlever ses chaussures. Plus jamais elle ne porterait ce genre de torture aux pieds. Ca, elle se le promettait.

Silencieusement, la voiture roulait à toute vitesse à travers la ville avant de prendre plus de vitesse à la sortie de celle-ci.

Pensivement, elle regardait par la vitre, le paysage qui défilait sous ses yeux. Cela avait été une soirée des plus intéressantes et, aussi étonnant soit-il, elle avait réussi là où elle ne le pensait pas. Elle avait pensé fléchir, gaffer, mais avait au contraire, ébloui l'assemblée et plus particulièrement son grand-père.

Celui-ci avait été enchanté de sa présence. Plus encore de son comportement. La jeune fille se demandait si il n'avait pas vu sa défunte mère à sa place. La maladie de son grand-père était dû au départ de sa mère ? Si cela était le cas, que se passerait-il si elle lui annonçait qu'elle ne lui succéderait pas ?
A ces pensées, elle soupira.

La voiture s'engagea enfin dans l'allée de la maison. Coupant le contact, Charles sortit de la voiture et commençait à en faire le tour lorsque Caelia repensa à ce qu'il avait dit.

*Pour en sortir, je te porterai, ce n'est pas un problème.*

Paniquée à l'idée qu'il le fasse réellement, elle ouvrit violement la portière pour sortir. Malheureusement, celle-ci cogna Charles aux genoux et celui-ci laissa échapper un cri de douleur.

"Oh mon dieu ! Charles ! Je suis désolée ! Est-ce que ça va ? Tu n'as pas trop mal ?"

Le voyant prendre appui sur la voiture, la jeune fille se mit à paniquer vraiment et sortit complètement de la voiture, s'approchant rapidement pour constater les dégâts. Mais avant qu'elle ne puisse faire le moindre geste, elle sentit ses pieds quitter la terre ferme. Sans qu'elle ne sache comment, elle se retrouvait dans les bras du jeune homme.

Le coup de portière dans les genoux, il ne l'avait pas vu venir. Charles se promit d'être plus attentif la prochaine fois mais cela lui donna l'occasion de créer une feinte avec Caelia. Profitant de son inquiétude pour lui, il se saisit de la jeune femme toute légère pour la porter comme une vraie princesse.

"Il en faut bien plus pour me faire mal. Cependant, tu m'as pris par surprise, je ne m'y attendais pas."

Le sol de l'allée devant la maison était fait de graviers mais Charles ne tenait pas à se qu'elle se fasse mal aux pieds, son expérience lui avait fait savoir que c'était une partie assez sensible du corps. Après avoir ouvert la porte d'entrée, il déposa Caelia au sol avant de refermer la voiture et de mettre l'alarme via la petite télécommande accrochée à son porte-clés. Puis la première chose qu'il fit en rentrant fut de préparer l'eau chaude pour le thé. Le jeune homme savait qu'il avait encore beaucoup de temps avant de pouvoir s'endormir à cause des insomnies qui ne le laissaient dormir que quelques heures par nuit. Il ne manquait pas de sommeil mais le temps qu'il passait éveillé alors que le reste du monde était endormi pouvait parfois être très long.

"Caelia, est-ce que tu voudras un peu de thé? Ou bien plutôt une tisane pour t'aider à trouver le sommeil?"

Pendant que l'eau chauffait, il approcha de la table sur laquelle William avait laissé un ordinateur portable avec un petit mot laissé à son intention.

Je pars en m'exiler en Écosse.
Tu ne m'as jamais vu à Aden.
Fais attention à toi, mon frère!
Bill

*Quelle horrible écriture...*

La bouilloire se mit à siffler, l'eau chaude était prête à être versée.

Durant le court trajet qui l'amena jusqu'à la maison, Caelia se maudissait de s'être faite prendre. Elle qui n'avait pas voulu se retrouver dans cette posture, avait été attrapée. Sa fierté en avait pris un coup bien que cela soit ridicule. Mais pour elle, elle estimait qu'elle aurait du subir ses chaussures jusqu'au bout, sans quoi elle les aurait enlevé dès l'instant où elle était entrée dans la voiture.

Enfin son supplice s'arrêta et retrouva avec joie, le plancher des vaches. Elle se dirigea alors vers sa chambre et retira prestement ses chaussures. Avec joie, elle agita ses orteils et était heureuse de les découvrir toujours en vie.
Cette pensée était tellement ridicule qu'elle s'esclaffa doucement avant de se reprendre pour répondre à Charles.

"Du thé, s'il te plait."

Se mettant dos à la glace, Caelia observait et réfléchissait au moyen de défaire la tirette de sa robe. Elle n'avait pas envie de lui demander de l'aide mais avait encore moins envie de rester dans cette tenue.

"Au fait, qu'est-ce que t'a demandé…mon grand père…pour que tu répondes que nous serons là ?"

La jeune fille s'appuya sur l'embrasure de la porte de sa chambre et observait Charles, la mine quelque peu interrogative.

Prenant deux tasses dans le placard au-dessus de lui, il y versa l'eau chaude en prenant soin de ne pas se brûler avec la bouilloire, ce qui lui était souvent arrivé lorsqu'il avait commencé à vivre en Italie et à être élevé à l'anglaise par Emilio.

"Il souhaite que nous allions au château lui rendre visite dans trois jours afin que tu puisses lui apporter ta réponse. Il ne veut pas te brusquer mais il est un peu pressé par le temps. Même si tu n'a toujours pas pris ta décision à ce moment-là, nous nous y rendrons tout de même. Je suis certain que de voir sa petite-fille illuminera sa journée."

Posant les tasses sur la table, il laissa un peu infuser les sachets de thé dans l'eau pendant qu'il constitua une pile des livres qui jonchaient la table. Exceptionnellement, il utilisait des sachets car il s'était trouvé à cours de thé dans sa boîte en métal qu'il avait ramené avec lui d'Italie. Charles s'installa ensuite à sa place et invita d'un geste de la main Caelia à se joindre à lui.

"Moi qui n'ai pas vraiment de famille ni de patrie, j'éprouve un peu de mal à saisir ce concept d'attachement aux liens du sang ou à une terre natale. Je ne ressens aucun manque à ce niveau-là, comme si c'était quelque chose dont je n'ai pas besoin. Disons que je ne suis jamais resté assez longtemps quelque part pour m'y sentir véritablement chez moi."

Avec sa cuillère, il se mit à appuyer sur le sachet qui se noyait dans l'eau afin d'en accélérer l'infusion. Pensif, Charles se mit à réfléchir sur ce qu'il pourrait faire le lendemain. Il était bien tenté de s'autoriser une journée à se reposer. Le jeune homme n'était pas un robot et un peu de détente était pour lui un moment précieux.

Caelia observa un long moment le jeune comte avant de se décider à le rejoindre. Et contrairement à son habitude, elle choisit un fauteuil, une place, à l'opposé de celui-ci. Tout en rassemblant sa robe autour d'elle, la jeune fille réussit à s'asseoir confortablement.

Bien qu'elle détesta le thé trop fort, la jeune fille ne fit pas le moindre geste pour retirer le sachet. Son regard observait pensivement la vapeur qui se dégageait de sa tasse. Peu à peu, celle-ci devint moins dense, plus fragmentée. Elle semblait danser devant ses yeux et l'hypnotisait.

Tout était silencieux ou presque. Dehors, le vent s'était levé et soufflait à travers les branches des arbres. Une brume blanche se leva et s'étira sur tout le paysage, rendant l'atmosphère plus particulière qu'elle ne l'était déjà.

Un doute s'insinua en elle. Jusqu'à présent, Charles ne lui avait pas dit concrètement qu'il l'aimait. Etait-ce alors un avertissement ce qu'il venait de dire à propos des liens et de l'attachement ? Devait-elle prendre ses distances avant qu'il ne soit trop tard ?
Et elle, est-ce qu'elle ressentait la même chose vis-à-vis de ce grand-père qu'elle ne connaissait pas ?

Plus elle réfléchissait sur un point et plus une multitude de questions arrivaient comme par enchantement.
Ce n'était donc pas cette nuit qu'elle trouverait le sommeil réparateur. Ni les nuits suivantes.

"J'ai besoin d'une aspirine…"

Sans attendre, elle se glissa dans sa chambre. Son sac sur son lit, elle le prit avant de se diriger près de la fenêtre. Dehors, la pluie se mettait à tomber et la pleine lune la rendait luisante.

Le goût du thé n'était pas aussi bon que celui que Charles préparait d'ordinaire, ce dernière grimaça d'ailleurs un peu en le buvant. Mais le thé était devenu un tel rituel pour lui que cela lui nécessaire pour le déroulement de sa journée. Lorsque Caelia se leva pour rejoindre la chambre, le jeune homme resta assis et se mit à soupirer discrètement, la journée avait été longue.

*Comment vais-je pouvoir continuer notre conversation...?*

Charles avait déclaré à Caelia dans la voiture qu'il éprouvait quelque chose pour elle, et elle lui avait fait savoir que c'était réciproque. Cependant, il ne savait pas comment reprendre cette discussion. Il ne savait ni quoi dire, ni quoi faire. Il ne savait pas vraiment comment se comporter à l'égard de la princesse maintenant qu'il avait abordé un tel sujet. Il n'éprouvait pas de pudeur ou d'embarras à dire ce qu'il pensait, c'était déjà ça de pris. S'installant sur le canapé en retirant ses chaussures pour poser ses pieds sur la table basse, il alluma la télévision et se mit à regarder un jeu télévisé dans lequel le présentateur posait des questions de culture générale aux candidats. Charles était très fort à ce jeu-là. Passant sa jeunesse à s'instruire plutôt que de courir après la fête et les filles, il avait acquis beaucoup de connaissances diverses et variées.

Alors qu'elle contemplait toujours le paysage, un bruit familier lui parvint. Celui de la télévision. Apparemment, le jeune homme avait mieux à faire et cela n'était pas pour lui déplaire. Maintenant qu'ils étaient de retour dans le cocoon, elle avait la sensation que rien ne serait facile.

Délaissant la fenêtre pour son lit, Caelia s'y laissa tomber à la renverse. Son regard fixé sur le plafond lui donnait le vertige. Tout semblait tourner, prendre d'autres teintes. Peu à peu, ses yeux se fermèrent.

*Juste un petit instant*

Elle qui n'avait pas l'intention de s'endormir, sombra instantanément. Les heures s'écoulèrent, Minuit, deux heures, trois heures du matin.

Soudain, elle se réveilla en sursaut, les yeux grands ouverts dans le noir. Tout son corps aux aguets, ses nerfs, ses muscles tendus à l'extrême.
Quelqu'un parlait et il lui fallut plusieurs minutes avant de reconnaître le son de la télévision.
Caelia se redressa. La chambre était froide et elle frissonna. La pénombre la rendait mal à l'aise.

"Charles ?"

Maladroitement, elle se leva et se mit à se frictionner les bras. Que s'était-il passé pour qu'elle se réveille dans un tel état? Et combien de temps s'était-il écoulé jusqu'à maintenant ?
Seule, cette sensation étrange ne la quittait pas. Quelque chose de déplaisant et de froid.
Etait-ce un avertissement ?

Charles avait passé des heures à regarder la télévision. La nuit, les programmes intéressants étaient rares et il regardait l'écran sans vraiment le regarder. Comme Caelia n'était pas revenue, il en avait déduit qu'elle était partie se coucher. Pourtant, elle lui souhaitait bonne nuit d'ordinaire. Elle s'était probablement assoupie sans s'en apercevoir. Cette soirée avait dû l'épuiser. Les heures passaient et Charles ne trouvait pas le sommeil. Quand il entendit son prénom de son ouïe fine, il se leva du canapé et éteignit la télévision. Le son avait peut-être réveillé Caelia.

*Il faut que je parvienne à dormir...*

Le jeune homme craignait chaque nuit de ne jamais trouver le sommeil. Toutes les pensées qui se mêlaient dans sa tête l'empêchaient toujours de s'endormir rapidement. Restant à l'entrée de la porte entrebâillée, Charles put constater que Caelia portait toujours sa robe de bal. Comme il l'avait supposé, elle s'était probablement assoupie.

"Qu'y a-t-il?"

Elle était debout, à côté de son lit, et se frictionnait les bras. Dans une telle tenue, il était naturel qu'elle ait froid, d'autant plus que Charles n'avait pas l'habitude de se servir du chauffage. C'était à peine s'il savait comment il fonctionnait.

Sursautant à la voix de Charles, Caelia tourna vers lui son regard terrorisé. Elle aurait voulut se jeter dans ses bras, faire un pas vers lui mais ses pieds refusaient de bouger. Elle semblait tétanisée.
Ses yeux se fermèrent pour s'ouvrirent aussitôt. Sa respiration devenait saccadée. Vainement, elle tentait de se sortir de cet état et au prix d'un énorme effort, elle put esquisser un pas.

"Je crois que…je ne suis pas très bien…et cette robe…"

La jeune fille se sentit comprimée et au même instant, elle se crispa de douleur.
Une main posée sur son estomac. Son estomac semblait peser une tonne avant d'être transpercé de toute part. Et son visage se perla de sueur.
Voilà bien des années qu'elle n'avait plus eu ce genre de crise.

*Et bien…entendu…je n'ai rien pour…soulager*

Se maudissant de ne pas avoir écouter les conseils de son père, Caelia souffrait comme jamais. Sujette à ce genre de phénomène dû au stress, la jeune femme avait été amenée à prendre plusieurs remèdes et au fils des années, ceux-ci étaient plus puissants. Elle était sensée éviter toute forme de tension mais…avec un jour comme celui-ci…elle avait cru, naïvement, y arriver.

Au moment où elle allait s'écrouler, elle sentit une paire de bras puissants la retenir et la déposer délicatement sur le lit. Elle sentit sa poitrine décompresser à mesure que la fermeture éclair se défaisait.

"R…Reste, s'il te plait"

Pour faire face à cette douleur, Caelia ferma ses yeux et essayait de se concentrer dessus comme elle le pouvait. Mais la présence de Charles ne l'aidait pas tellement à se focaliser sur sa technique. Cependant, elle pouvait néanmoins apprécier ce moment même si c'était dans la souffrance.
Elle se sentait en sécurité dans ses bras et ses peurs soudaines disparaissaient, petit à petit. La chaleur qu'il dégageait la réchauffait et était beaucoup plus plaisante qu'un radiateur.

Charles aurait voulu avoir de quoi soulager Caelia mais il ne possédait rien pour atténuer les douleurs psychologiques. Plus d'une fois, il l'avait vu faillir à cause du stress mais cette fois-ci semblait plus violente que les autres. Dans son armoire à pharmacie, le jeune homme possédait que de quoi se soigner en cas de blessures par balles et de brûlures. Elle et lui n'étaient pas exposés aux même types de danger.

"D'accord, je vais rester. Laisse-moi d'abord t'aider à retirer cette robe afin que tu puisses te sentir plus à l'aise."

D'abord, il récupéra un plaid polaire comme celui qu'il utilisait pour dormir sur le canapé. Levant Caelia pour faire tomber la robe à ses pieds, elle portait encore une fine robe de soie blanche et qui se terminait en liserais de dentelle à ses chevilles. Il l'enveloppa ensuite dans le plaid et la fit allonger sur le lit.

"Tu peux te rendormir, je resterai avec toi si cela peut te rassurer."

Assis sur le bord du lit à côté d'elle, Charles resta alors silencieux, faisant en sorte que le son de sa respiration ne gêne pas Caelia à s'endormir.

Vidée de toute force, Caelia se laissa déshabillée avant d'être reposée délicatement sur le lit. La douceur avec laquelle Charles l'avait manipulée, l'étonna quelque peu. Suffisamment avant qu'une autre crise revienne à la charge.

Tout en grelottant sous le plaid, la jeune femme observait, les yeux mi-clos, le dos du jeune homme. Certes, il allait rester mais quelque chose la dérangeait. Faire en sorte qu'elle ne le remarque pas pour qu'elle puisse s'endormir. Elle trouvait cela stupide. Si elle lui avait demandé de rester, ce n'était pas pour que ça se passe comme ça.
Elle voulait qu'il la prenne dans ses bras, qu'elle puisse ressentir sa chaleur, entendre battre son cœur.

*Mais est-il pourvu de cet organe ?*

Sur l'instant, elle en douta et sans s'en rendre compte, sa main l'attrapa par sa chemise et le tira à elle.
Bien que souffrante, elle avait encore assez de force pour ça et, lorsqu'il fut allongé sur le dos, le regard surpris, la jeune femme posa sa tête sur son torse.

"Je…Je dois vérifier…si tu m'aimes…"

Doucement, sa main remonta jusqu'aux premiers boutons pour les défaire. Sa peau, libérée de toute barrière, était une invitation à la caresse. Tentation à laquelle Caelia céda.
Les paupières fermées, elle ressentait la texture douce et délicate de sa peau. Son cœur battait comme un cœur pouvait battre. Rien dans ce qu'elle n'entendait lui faisait penser à ce qu'il pouvait ressentir à cet instant même.
Elle supposa donc qu'il se maîtrisait et cela la peina.

En réalisant ce que Caelia avait essayé de vérifier, Charles se mit à caresser la soyeuse chevelure de la jeune femme et émit un faible sourire. Il avait toujours tendance à réguler son rythme cardiaque de façon inconsciente, c'était un des stratagèmes qui lui permettait de garder la tête froide lors d'une montée d'adrénaline. C'était devenu pour lui un réflexe dont il ne pouvait se défaire si facilement.

"Je suis sincèrement navré s'il s'avère que je sois la cause de ta déception. C'est juste qu'il est difficile pour moi d'exprimer ce genre d'émotion. Après tout, j'ai été élevé de façon à n'être affecté par aucune pour mon travail."

La serrant contre lui, Charles se mit à soupirer. Il ne pourrait pas dormir cette nuit, il était absolument hors de question qu'il dorme alors que Caelia était à ses côtés. Il ignorait de quoi il était inconsciemment capable de faire. Il était resté marqué par le souvenir de François, un des fils adoptifs d'Emilio, qui était né en France. Celui-ci savait Charles d'une gentillesse telle qu'il l'a toujours été et avait une véritable confiance en lui, disant qu'il savait que l'anglais ne pourrait jamais lui faire de mal. Une nuit, il eut le malheur d'outrepasser l'avertissement de Charles et il s'approcha de lui. L'adolescent endormi s'éveilla aussitôt et lui ôta la vie en quelques secondes. C'était pour cette raison qu'il insistait sur le fait que Caelia ne devait jamais l'approcher lorsqu'il dormait sur le canapé. Elle aussi disait qu'elle savait qu'il ne pourrait jamais lui faire de mal mais Charles gardait ce souvenir bien trop ancré en lui pour courir le risque.

*Je ferai une sieste demain, ce n'est pas bien grave.*

Il ne pouvait pas en vouloir à Caelia d'avoir besoin de compagnie et de chaleur humaine. Elle se trouvait loin de son pays et de ses proches, et se retrouvait mêlée à une sorte de guère de succession d'une nation dont elle ignorait probablement l'existence avant sa venue à Aden.

"Je ne sais pas réellement comment me comporter à ton égard désormais. Tout semble facile pour les héros de ces livres mais agir comme eux ne me ressemblerait pas. Je dois trouver ma propre façon, il va donc falloir que tu supportes mon côté distant encore un peu."

Charles faisait des efforts mais il se sentait terriblement maladroit. Il craignait de blesser Caelia avec son insensibilité et son comportement de robot.

Restée silencieuse pendant un long moment, la jeune fille poussa un faible soupir. Bien sûr qu'elle comprenait tout ce qu'il venait de dire mais elle se demanda un instant si cela lui suffirait. Pourrait-elle attendre ? Si elle devait l'aimer totalement, elle aurait voulu que cela soit réciproque.

"Si…selon toi, je risque d'être une gêne parce qu'il pourrait y avoir quelque chose entre nous…alors arrêtons avant de commencer."

La main de la jeune fille s'arrêta dans ce mouvement de va et vient. Une impression de brûlure s'insinua en elle et elle se dégagea des bras de Charles pour rouler de l'autre coté du bord du lit.

"Je ne veux pas que tu changes pour moi. Apres tout, je peux très bien refouler mes sentiments…ce ne sera pas la première fois ni la dernière.
Et puis..."

Une larme roula doucement le long de sa joue pour finir s'échouer sur ses lèvres. Surprise, elle passa la main sur son visage. Craquait-elle ? Cela était totalement ridicule. Pourquoi devait-elle pleurer sur quelque chose qui n'avait pas d'existence.

"Et si je prenais sur moi pour me conduire comme certaines héroïnes, tu me repousserais car je ne serai pas telle que je suis…Mais qui suis-je réellement ?"

La jeune fille se leva et fit tomber le plaid à ses pieds avant de se diriger vers la fenêtre. Le temps semblait s'être calmé et avec ça, le faisceau de la lune l'illuminait, lui donnant une consistance irréelle.

"Tu devrais retourner dans le salon, Charles car jamais tu ne sauras dormir avec moi…ni maintenant ni plus tard je suppose. Et je ne voudrai pas être celle à blâmer si jamais tu devais faillir à ton travail."

Sa voix était étrangement calme, douce. Elle se sentait comme un feu en train de couver, prêt à exploser. Ce feu qui exploserait un jour…qui dévasterait tout sur son passage. Ce genre de colère comme elle n'en n'avait pas souvent. Cette colère qu'elle devrait utiliser à bon escient.

Charles se releva pour s'asseoir sur le lit, une jambe tendue et l'autre pliée sur elle-même. Caelia se trompait sur ces intentions mais il savait qu'il n'avait pas l'air honnête. Il ne voulait pas lui faire de promesse qu'il ne pourrait peut-être pas tenir parce-qu'il finirait un jour par être tué ou parce-que sa présence serait subitement devenue nécessaire à Venise. Il ne savait pas de quoi l'avenir était fait et il avait peur à l'idée de ne pas pouvoir tenir de promesse.

"Depuis mon adoption, ma vie n'a tourné qu'autour du travail. Et avant cela... je n'ai pas eu une vie des plus confortables. Je me suis alors toujours demandé quand je commencerais enfin à vivre pour moi. Il faut savoir que le changement n'a pas que du mauvais. Au contraire, si on change quelque chose, c'est toujours dans le but de l'améliorer."

Puis il se leva et avança jusque derrière Caelia qu'il étreignit tendrement. Le parfum de la jeune femme plaisait à Charles et il se mit à effleurer son cou avec son nez afin de s'enivrer de l'arôme délicat. En même temps, ses lèvres déposaient de doux baisers sur sa peau.

Méditant sur les paroles du jeune homme, Caelia supposa que c'était le mieux qu'elle puisse avoir pour l'instant. Elle ne saisissait pas trop ce qui se cachait sous ces belles paroles. Où voulait-il en venir exactement? Mais lorsqu'il l'enlaça tendrement, toutes ses réticences s'envolèrent. Elle se sentait si bien avec lui. C'était la première fois pour elle que cela se passait comme ça. Elle ne cherchait pas à analyser ses gestes. Une chance, sans quoi elle aurait eu vite fait de prendre le large.
Il fallait laisser le temps au temps et profiter de l'instant présent.

Son corps frissonna au contact des lèvres du jeune homme sur sa peau diaphane de son cou puis s'embrasa. Une sensation délicieuse qu'elle ne désirait pas voir disparaître.

"Tu…Tu m'acceptes donc dans ta vie, Charles ? Sans regret ?

Sa voix n'était plus qu'un souffle. Et lorsqu'il continua à descendre doucement le long de sa nuque, la jeune fille laissa échapper un faible gémissement avant de se retourner pour aller cueillir les lèvres du jeune homme.
A son tour, ses mains se baladèrent. Passant ses doigts délicats dans ses cheveux avant qu'une main ne descende le long de son dos.
La jeune fille se serra un peu plus contre Charles et approfondit son baiser. Doucement…passionnément. Avant de s'arrêter et de plonger son regard brillant dans le regard ambré du comte.

"Si tu restes…je ne réponds plus de rien. En futur archéologue que je suis, je m'approprierai ton corps, ton esprit…et découvrirai petit à petit ce que tu caches en toi…tous ces trésors dont tu n'es même pas au courant…"

Patiemment, elle attendait. Il ne suffisait que d'un geste, un mot pour qu'elle soit totalement à lui. Peu importe le futur, elle resterait à ses côtes s'il voulait d'elle. Son regard devint un instant déterminé avant de revenir à sa douceur habituelle.