II. Soirée de la Princesse Caelia

Sombrant dans une douce torpeur provoquée par le rapprochement de leur corps, la jeune fille ferma ses paupières, laissant échapper par la même occasion un petit soupir. Il était triste que Charles ne puisse vivre comme bon lui semblait et bien qu'il fût prêt à affronter son chef, elle craignait que cela tourne mal.

"Je crains qu'il ne t'arrive quelque chose si jamais ton intention est de le défier. Je ne pourrai le supporter et m'en voudrais toute ma vie. Je préfère encore renoncer à toi plutôt qu'il t'arrive quelque chose…""

Languissantes, ses mains continuaient leur ballet incessant sur le dos jusqu'à ce qu'elles découvrent un bout de chair. Sans vouloir plus, ses doigts prenaient possession de leur trouvaille.

"Qu'y a-t-il donc de si important ici ?"

La jeune fille se remémora la boîte qu'elle avait vu lorsqu'elle l'avait rejoint dans le salon. Le jeune comte semblait alors plongé dans ses réflexions.

"Est-ce que cela a un rapport avec…ce que tu regardais tout à l'heure ?"

Ainsi installée, le sommeil commença à s'emparer d'elle. Il lui aurait été facile de s'endormir tant il lui était agréable d'avoir Charles à ses cotés mais ce fut sans compter ce qu'il lui proposait. Ses yeux s'ouvrirent alors instantanément, se plongeant alors dans le regard ambré du jeune comte. Son cœur avait alors manqué un battement avant de reprendre sa course endiablée.

"Je…Je ne t'obligerai jamais en rien, Charles. Ma raison me pousse à refuser pour ne pas te voir un jour regretter ta proposition…même si mon cœur en dit le contraire."

Oui, elle aurait aimé accepter sans hésitation mais pouvait-elle le faire ? Pouvait-elle privé Charles de sa future liberté et l'enfermer à nouveau dans une cage dorée ? Et est-ce que son grand-père accepterait également ? Tous ces paramètres réunis l'empêchaient de répondre avec son cœur.

II. Soirée de la Princesse Caelia - Page 4 Avav10

Charles ne craignait pas d'être tué par la famille Vezziano, il était d'ailleurs celui en son sein qui avait le plus de chance de survivre. Les choses risquaient de ne tourner mal que s'ils envoyaient Dimitri faire le travail. Les deux hommes ne s'étaient jamais affrontés, il était donc difficile de savoir lequel des deux en ressortirait vivant.

"Moi, je refuse de renoncer."

Sentant les mains de Caelia sur son corps, Charles s'autorisa à toucher davantage celui de la princesse. Ses longs doigts parcouraient délicatement sa cuisse, sa fine taille, sa poitrine puis son cou pour terminer leur courses dans les boucles flamboyants de son aimée.

"Ce que je regardais tout à l'heure? Oui, cela fait partie des choses qui me retiennent ici. Mon travail m'a donné l'occasion de visiter tous les continents mais c'est en Europe que je me sens chez moi. N'est-ce pas ironique pour un homme qui n'a plus de patrie?"

Charles se mit ensuite à embrasser Caelia avec douceur, avant de s'y prendre plus langoureusement, plus passionnément. Chaque baiser lui donnait une sensation étrange, était-ce cela qu'on appelait le bonheur? Il était vrai que le jeune homme était plongé dans un véritable état de bien-être. Sans crier gare, il glissa une main derrière le dos de Caelia et pivota sur le lit de façon à se mettre sur le dos et qu'elle soit plaquée contre son torse au coeur battant d'un doux rythme régulier, manifestant le fait qu'il se sentait si bien, si paisible.

"Si je venais à le faire, ce serait en toute connaissance de cause. De plus, cela ne me déplairait pas de vivre à Aden, c'est un pays agréable au paysage magnifique et sa population ne manque pas de qualités. Si cela peut te conforter, je demanderai alors au Roi si cette éventualité est possible avec ton statut de princesse."

Tenant Caelia dans ses bras, Charles la savait tourmentée par son nouveau statut qu'elle percevait comme une privation de liberté. Le jeune homme ne voyait pas cela du même oeil. Diriger un pays donnait l'occasion d'essayer de changer le monde, même si le dit pays était minuscule. Mais Aden, qui était reconnue pour être aussi neutre que la Suisse, pesait bien plus dans la balance que quiconque ne pourrait le penser. Les monarques de ce royaume était appréciés et respectés par le monde entier pour leur sagesse et leur aptitude à faire de leur territoire un lieu qui ne ressemblait à aucun autre.

"Tu devrais dormir maintenant. Je resterai là, comme ça, jusqu'à ton réveil. Je ne bougerai pas d'ici et te garderai dans mes bras, à moins que cela ne te gêne bien-sûr."

Paisiblement installée sur Charles, Caelia put enfin se reprendre et laisser son cœur se reposer. En peu de temps, la jeune fille avait ressenti mille et une sensations et émotions. Toutes aussi agréables les unes que les autres. Même si à un moment, elle dut garder la tête froide pour éviter le laisser échapper un gémissement de plaisir. Les doigts de Charles avaient le don de réveiller la femme qui était en elle.
Timidement, elle osa glisser ses doigts vers les lèvres du jeune homme pour les caresser.

"Je ne veux pas que tu demandes au Roi s'il nous est possible d'être ensemble. Du moins, pas demain. J'aimerai d'abord qu'il prenne en compte mes conditions car sans cela…"

La jeune femme s'interrompit pour étouffer un bâillement. Ses yeux se faisaient lourds et elle ne tarderait pas à s'endormir. Pourtant, ce qu'elle désirait à cet instant, c'était continuer à discuter avec le comte.

"Comment veux-tu que je m'endorme avec l'effet que tu me fais…mais…mais si je venais à m'endormir…je…je voudrai que toi-même tu essaies de dormir…"

Et contre toute attente, la jeune fille tomba entre les bras de morphée. Voilà qui était ironique après ce qu'elle venait de dire. Pourtant, le manque de sommeil causé par la veille reprenait ses droits. Caelia avait besoin d'énormément d'heures de sommeil pour être en forme.

Charles n'eut pas le temps de lui répondre que Caelia dormait déjà. Il n'avait pas l'intention de s'endormir à ses côtés, il ne se sentait pas encore prêt à courir ce risque. Il était en train de changer, certes, mais il ne le pouvait pas aussi rapidement. Sa mémoire gardait encore trop vivement le souvenir du frère qu'il avait tué à Venise. Il finirait bien par trouver un petit créneau horaire pour se reposer un petit peu, son corps ne nécessitait que très peu de sommeil et de toute façon, faire nuit blanche ne l'épuiserait pas tant que ça. De par son milieu professionnel, il avait l'habitude d'être en décalé par rapport au commun des mortels.

*Ses conditions? Mais à quoi pense-t-elle? Un trône n'est pas une chose qui se marchande. Je me demande bien quelle idée elle a en tête. J'espère au moins qu'elle réalise que le Roi peut ne pas accéder à toutes ses requêtes. Il est bien heureux d'avoir sa petite-fille auprès de lui mais il reste quand même un souverain et l'avenir de son peuple est la chose qui l'importe le plus actuellement. Seulement, il ne veut pas le confier à n'importe qui. Il a confiance en Caelia car elle est la fille de la princesse Victoria et il sait alors qu'elle a été élevée selon l'esprit de sa mère.*

Charles profita de ce long moment de répit pour tourner et retourner ses réflexions dans sa tête. En rencontrant Caelia dans l'avion posé sur le tarmac de l'aéroport d'Aden, il n'avait pu imaginer la tenir un jour ainsi dans ses bras. Il se rappelait encore chaque détail de cet évènement encore très récent. Elle n'avait pas voulu descendre de l'avion alors que tout le monde l'attendait à l'extérieur. Il avait dû monter dans l'avion pour aller la chercher. Le premier regard qu'il avait eu sur elle restait encore gravé en lui. Les écouteurs sur les oreilles, elle écoutait de la musique sans se soucier de ce qu'il se passait autour. Elle avait attaché ses cheveux, emprisonnant ainsi ses boucles flamboyantes. Malgré une féminité peu affirmée, elle avait déjà cette aura magnifique que possédait sa mère. C'était surtout ainsi qu'il l'avait reconnue comme étant la princesse Caelia.

*Il faut que je comprenne ce qu'il s'est produit tout-à-l'heure dans la salle de bain. C'est la première fois qu'une telle chose m'arrive. Tout cela me rappelle quand mon père rentrait ivre du bar après le travail et qu'il décidait de tout casser. Des fois, c'était sur Maman qu'il les brisait.Le nombre de blessures qu'il lui a infligé dans toute sa vie est absolument incalculable. Je ne veux pas reproduire cette violence que j'ai connu chez mon père. Je dois absolument en connaître la raison.*

Charles se mit alors à imaginer ce que sa mère avait vécu avec James Mooncroft et pourquoi elle s'était finalement mariée avec l'homme exécrable qu'était son père. Était-ce le docteur qui l'avait quitté? Savait-il qu'elle était enceinte? Ses parents s'étaient mariés plus d'un an avant sa naissance, la relation entre Kate Ashworth et James Mooncorft était donc ce qu'on appelait un adultère. Ils auraient pu s'enfuir ensemble, comme le font les amoureux dans les livres. Mais qu'avait-il bien pu se passer entre eux? Quels obstacles avaient-ils franchi? Finalement, Charles ne connaissait que très peu de choses de sa mère. Il aurait l'occasion d'en savoir plus s'il rencontrait celui qu'il pensait être son père biologique mais il ne savait pas s'il avait vraiment envie de le rencontrer. Après tout, ils ne partageaient rien d'autre qu'un code génétique et le souvenir d'avoir partagé la vie de Kate à des périodes différentes.

Endormie profondément, Caelia n'avait pas la moindre idée de ce qu'il se passait autour d'elle. Il était l'heure où son corps rechargeait ses batteries car les jours à venir risquaient d'être pénible. Elle avait bien conscience que l'enjeu était important car si son grand-père refusait ses conditions, elle devrait dire adieu à Charles.
Sans un regard pour le passé, elle devrait continuer à vivre comme elle l'avait toujours fait. La jeune fille n'était pas du genre à éprouver des regrets mais dans ce cas présent, elle pensait qu'il lui serait dur d'y faire face. Heureusement, ses études seraient une échappatoire à ses souvenirs.

Gémissant faiblement dans son sommeil, Caelia pivota, s'échappant des bras de Charles, pour se mettre sur le coté, en position fœtus. La jeune fille n'avait jamais dormi avec un être du sexe opposé, sauf son père lorsqu'elle faisait des cauchemars étant petite. Elle n'avait donc pas l'habitude de voir ses mouvements entravés, surtout lorsqu'elle dormait.

Caelia s'étant écartée de lui durant son sommeil, Charles se mit à méditer sur le silence nocturne qui régnait dans les environs en mettant ses mains derrière sa tête. L'insomnie rendait ses nuits très longues, parfois même trop. Il en avait été ainsi depuis qu'il était enfant, avant même la mort de ses parents. Il se rappelait encore la peur qu'il avait éprouvé durant toutes ses nuits où il n'avait pas pu se réfugier dans les bras de sa mère car son père exigeait être le seul homme dans son lit. Il se rappelait encore toutes ces nuits qu'il avait pleuré dans la crainte du fameux monstre caché sous le lit ou du tonnerre grondant d'une nuit orageuse. Il se rappelait encore quand il était caché dans le placard de sa chambre les soirs où son père rentrait éméché et décidait de rouer sa femme de coups en la faisant pleurer et implorer de ne pas toucher à son fils adoré.

*Venise n'est pas aussi silencieuse la nuit. Aden est vraiment un lieu reposant et agréable.*

Charles n'avait pas menti en disant à Caelia qu'il s'envisageait bien de continuer de vivre à Aden pour le restant de ses jours. Il ne s'était jamais senti aussi bien qu'ici et c'était dans ce royaume qu'il gardait ses meilleurs souvenirs, celui d'être tombé amoureux d'une princesse, d'avoir goûté à ses baisers, d'avoir effleuré son corps. A cette dernière pensée, le jeune homme se redressa pour s'asseoir sur le lit. Si Miguel avait pu écouter ses pensées, il en aurait ri et l'aurait encouragé à séduire Caelia. Mais Charles avait été élevé en gentleman d'une autre époque, un tel geste de sa part lui apparaissait déplacé mais en même temps si tentant.

*Non, je ne dois pas me laisser convaincre de la sorte.*

Charles aimait Caelia. Naturellement, il souhaitait la connaître bien plus encore, il la désirait. Cependant, il ne pouvait se résoudre à écouter ses désirs, du moins pas tant qu'il n'apprendra pas de la bouche même de la princesse qu'elle décidait de rester à Aden. Ils n'avaient fait connaissance qu'il y a une huitaine de jours et ils avaient approfondi leur relation que depuis la veille mais il se sentait déjà prêt à demeurer auprès d'elle pour le reste de son existence. Il avait la sensation qu'il avait attendu Caelia Earl, princesse héritière d'Aden, toute sa vie.

Les heures passèrent et Charles était resté aux côtés de Caelia qui dormait toujours profondément. Il avait passé son temps à réfléchir à ses prochaines actions, notamment envers Emilio mais aussi envers le Roi, sans même ressentir l'envie de dormir, son esprit était bien trop occupé pour cela.

Le sommeil se faisant plus léger, Caelia pivota pour se coller à nouveau contre Charles, un bras passé autour de lui comme elle le faisait avec sa peluche. Ses lèvres entrouvertes laissèrent échapper un petit soupir de satisfaction et sa tête se frotta contre lui. C'est ainsi qu'elle se replongea alors dans ses rêves bien que le soleil était levé depuis bien longtemps.

La jeune fille pouvait dormir des heures durant sans jamais se réveiller ou du moins tant que son corps ne s'estimait pas rassasié.
Mais pourtant, aujourd'hui, celui-ci ne fonctionnait pas comme à l'ordinaire et ce fut trente minutes plus tard qu'elle se réveilla.
Le regard embrumé, elle se leva sur un coude pour regarder l'heure qu'il était mais ce ne fut pas le réveil qu'elle croisa mais plutôt le regard de Charles. Le rouge monta alors à ses joues.

Avait-elle longtemps dormi ? Avait-elle ronflé ? Parlé ?
Voilà bien des questions alors qu'elle n'avait pas encore prononcé un mot. Mais en maniaque de l'hygiène, elle n'osait ouvrir sa bouche avant de s'être brossé les dents.
De petites choses qui allaient lui rendre la vie dure si elle se mettait en couple. Néanmoins, elle fit un effort en gardant la tête baissée.

"Bonjour…"

Caelia se demanda alors si celui-ci avait dormi.

Lorsque Caelia se réveilla et le salua, Charles l'avisa d'un beau sourire en guise de bonjour et la gratifia d'un élégant baisemain. Qui donc faisait encore cela de nos jours? Mais là était l'originalité du jeune homme, un charme désuet et poli qui semblait avoir traversé les siècles pour arriver à une époque où les couples étaient plus intimes dans leurs gestes quotidiens et leurs mœurs. N'ayant jamais prévu d'entretenir une relation de ce genre avec une femme, Charles ne s'y était jamais vraiment préparé et ne connaissait des relations amoureuses que ce qu'il avait pu lire dans les livres. Et encore, la plupart des livres romantiques qu'il lisait se situaient à l'époque de ses manières de gentleman.

"Je vais nettoyer la salle de bain afin que tu puisses t'y rendre sans problème. Tu pourrais prendre ton petit-déjeuner en attendant."

Se levant du lit, Charles souhaitait donner un dernier baiser sur le front de la princesse mais n'osa pas, partagé entre plusieurs façons de se comporter. Peut-être que Caelia n'appréciait pas son côté un peu trop... vertueux disons. Il avait toutes les raisons de le penser à en constater la façon dont elle avait été froissée lorsqu'il avait refusé d'aller plus loin. Le jeune homme faisait du mieux qu'il pouvait pour arrondir ses principes mais on ne pouvait décrocher la lune en une seule journée. Dans la salle de bain, il se rendit compte des dégâts en prenant du recul sur les évènements. Il n'y était pas allé de main morte.

*Heureusement que Caelia n'a pas choisi de se charger de cette tâche. L'odeur du sang est plutôt forte.*

Charles prit soin de bien refermer la porte derrière lui et ouvrit la fenêtre pour aérer la pièce avant toute chose. Il entreprit ensuite de ramasser tout ce qui était cassé et de ranger tout ce qui ne l'était pas. Quand il dut nettoyer le sang, il resta immobile un instant, à regarder son propre sang qui avait séché sur le sol, les meubles et les murs. Il s'accroupit et carressa la plus grosse tache du bout de ses doigts. Le sang était une chose avec laquelle il avait été souvent en contact depuis des années mais rares avaient été les fois où il s'agissait du sien.

Abandonnée de Charles, Caelia resta un moment à regarder la porte par laquelle il était parti avant de reposer sa tête sur l'oreiller. D'un air maussade, elle se mit à penser à ce qu'il se déroulerait dans quelques heures. Son avenir allait se jouer.
Devait-elle vraiment soumettre ses conditions au Roi ? Pourquoi ne pouvait-elle donc pas accepter ce qu'on lui proposait sur un plateau d'argent ?

La jeune fille tendit la main vers l'autre oreiller et le ramena contre elle pour le serrer. Tout aurait été si simple si elle ne s'était pas éprise de Charles et qu'elle eut été une jeune fille comme une autre. Rêvant d'être une princesse, rêvant de belles robes, de bals, de domestiques.

Mais ses parents ne l'avaient pas élevé dans cette optique. Seul, sa grand-mère paternelle la traitait de la sorte et lui racontait les légendes de Princesses du Moyen-Orient. Elle tenait sa passion de l'archéologie d'eux et c'était par eux que son père avait rencontré sa mère. La jeune fille avait toujours été émerveillé lorsqu'elle écoutait les récits de ses grands parents et plus encore lorsque ses yeux se posaient sur les merveilles qu'ils découvraient.
Devait-elle donc renoncer à tout cela sans le moindre remord pour une vie de masque et de politesse feinte ? Au moins, les morts révélaient la vérité.

Se relevant avec détermination, elle secoua sa tête avant de se mettre sur pieds. L'heure n'était plus aux questions. Caelia alla alors s'asseoir devant la petite table sur laquelle s'entassait des livres. Et après l'avoir dégagée, elle sortit son papier à lettes et écrivit de sa belle écriture, ses conditions. Ainsi fait, elle pourrait les tendre au Roi et examiner son expression. Quand cela fut fait, elle la glissa dans une enveloppe qu'elle alla ranger dans son sac à main avant de sortir sur la pointe des pieds et retrouver Charles dans la salle de bain.
Dans l'embrasure, son regard allait des dégâts au comte.

"Charles, que s'est-il passé ?"

Intriguée, elle ne savait qu'en penser puisqu'elle l'avait toujours connu sous un aspect calme et de sang-froid.

Charles leva les yeux vers Caelia, qui lui demandait ce qui lui était arrivé pour causer un tel désordre. Lui-même n'était pas certain des raisons qui l'avaient poussé à se comporter ainsi. Se relevant, il tourna la tête vers le miroir brisé qui fendait son image en des dizaines de reflets.

"Je suppose que j'ai été confronté à un conflit intérieur qui s'est traduit par un besoin physique de l'éliminer... peut-être."

Charles ne connaissait que trop bien les raisons d'un tel conflit qui le mettait plus ou moins au pied du mur. La façon dont il avait été élevé par Emilio était au coeur du problème. Le jeune homme savait comment son père adoptif procédait pour joindre les gens à sa cause dès leur enfance. Charles n'avait que huit ans lorsqu'il eut accepté sans le moindre remord de le suivre en Italie.

"Emilio respecte des étapes très précises pour garantir notre fidélité envers lui."

Le jeune homme se dirigea vers le lavabo afin de nettoyer sa plaie. En retirant le bandage qu'il avait utilisé pour cacher ses points de la vue de Caelia, il décida d'expliquer en détail en quoi consistait la manière dont s'y prenait son père adoptif.

"Tout d'abord, il tue notre famille devant nos yeux en expliquant que leur mort n'est qu'une conséquence à leurs actes envers les Vezziano. S'assurant que nous n'avons personne d'autre chez qui nous réfugier, il nous propose de nous prendre sous son aile, de nous adopter et de nous offrir une famille : la sienne."

Imbibant une gaze de désinfectant, il l'appliqua sur sa plaie. Il ne broncha pas mais ça piquait vilainement. Au moins, cela éliminerait les microbes.

"Nous n'avons pas vraiment d'autre choix que d'accepter car il serait facile pour lui de nous tuer si nous refusions. Il est armé et accompagné de plusieurs de ses hommes. Avant de partir, il nous demande de récupérer un objet, un seul et unique objet. Cette attention fait en sorte de nous donner l'impression d'avoir choisi de le suivre et installe une certaine compassion à son égard. Ensuite, il brûle notre maison pour que nous n'ayons plus nulle part où aller si un jour l'envie nous venait de nous enfuir."

Charles enroula une bande propre autour de sa main. L'aspect de ses points n'était pas le plus charmant, il préférait donc les dissimuler aux yeux de Caelia mais aussi aux yeux du Roi qui s'inquièterait à son sujet.

"En Italie, nous constatons que nous ne sommes pas seul, d'autres enfants ont connu le même sort. Ce passé commun nous rapproche et nous donne le sentiment d'être une famille car les membres d'une famille traversent les même épreuves. Puis Emilio choisit de nous élever selon un modèle, de nous programmer selon son souhait. Ainsi, nous trouvons notre place dans cette famille et ne sommes pas lésés. Et quand nous nous mettons à travailler pour lui, nous avons le sentiment que c'est un service que nous lui rendons, une sorte de gratitude pour nous avons donné une famille."

Il s'approcha ensuite de Caelia qui écoutait d'une oreille attentive sa confession plus approfondie à propos de son passé. Charles n'était pas du genre à parler facilement de lui, il était donc rare que cette occasion se présente.

"Une trahison à son encontre est alors inimaginable. Mais quand nous parvenons finalement à y songer, nous réalisons à quel point nous sommes passé à côté de notre vie. Mais si nous avions refusé de le suivre en Italie, il nous aurait tué et nous serions à ce moment-là passé également à côté de notre vie. C'est un lien très complexe qui nous unit à Emilio."

Charles posa ses mains sur les épaules de Caelia en plongeant son regard dans le sien. Il avait l'impression de tenir un trésor d'une valeur inestimable, son trésor.

"Mais toi, Caelia, tu parviens à ébranler tout ce qu'Emilio a construit pour moi."

Il la pris contre son torse et la serra fort dans ses bras. Charles ne savait pas encore de quelle façon il affronterait Emilio mais il savait qu'il le ferait. Il était fermement décidé de cesser tout ceci afin de reprendre sa vie en main et de chosir son avenir qu'il n'imaginait pas sans Caelia.

Bouleversée par ce qu'elle venait d'entendre, Caelia se mit à serrer Charles encore plus fort et pleura pour lui. Pleurer pour toutes ces choses pour lesquels il n'avait pas versé une larme. Pour ses parents, pour ses victimes, pour ses rêves disparus. Comment avait-il pu vivre comme cela ? Mais devait on qualifier cela de "vivre" ? Aujourd'hui, son cœur recommençait à battre pour lui mais qu'en serait-il plus tard ?

La jeune femme fit remonter ses mains vers le visage de Charles où elles le prirent en coupe avant que ses lèvres ne se posent sur les siennes pour l'embrasser délicatement avant que leurs étreintes se fassent passionnées. Leurs peurs, leurs moments de désespoir étaient balayés. Seul, l'instant présent comptait. Caelia s'abandonna entièrement à la volupté de l'instant. Essoufflée et le cœur battant, elle éloigna ses lèvres des siennes.

"Quoi que tu décides, je te soutiendrai et croirai en toi. Je sais que cela peut te paraître ridicule mais je ne sais pas trop comment exprimer ce que je ressens à l'instant."

*Mais ne m'en veux pas pour ce que je proposerai au Roi.*

Elle avait peur que cela soit mal interpréter de la part de cet homme qu'elle aimait. Ses sentiments étaient profonds et elle avait peur de le blesser. Aussi espérait-elle que tout cela se passe bien. Sans quoi elle sombrerait dans l'abîme. Quant à l'idée que Charles puisse se faire tuer par cet homme qui l'avait élevé, celui lui brisait le cœur. Comme celui-ci avait il pu survivre à de tels atrocités et être ce qu'il était. Emilio devait être quelqu'un de très particulier.

Puisque Charles avait terminé d'utiliser la salle de bain, Caelia pourrait désormais l'utiliser pour se préparer afin de rendre visite au Roi. Il la lâcha alors, avec une pointe de regrets, et l'invita à occuper la pièce avant de fermer la porte et de se rendre dans la chambre. Là, il récupéra les vêtements qu'il allait porter, il irait se doucher après la princesse. Quand il entendit l'eau de la douche couler, il revint dans le salon et ouvrit la malle dans laquelle il avait déposé tout son armement afin de se ravitailler en moyens de défense s'ils venaient à être attaqués en route ou bien au palais. La probabilité était faible mais elle existait. Puis en passant devant la table, il tourna son regard vers la boîte en fer qui lui appartenait. La photo de famille qui datait d'avant la mort de ses parents avait été l'objet qu'il avait choisi d'emporter avec lui avant qu'Emilio ne fasse brûler sa maison avec le corps de ses parents à l'intérieur.

*Je devrais en vouloir à Emilio d'avoir tué ma mère mais... je n'y parviens pas.*

Le téléphone portable de Charles, posé juste à côté, se mit à sonner. Ce dernier s'en saisit et décrocha.

"Monsieur Ashworth?
-C'est moi.
-Je suis le médecin du Roi. J'ai besoin de m'entretenir avec vous au sujet de sa santé selon son désir.
-Que se passe-t-il?
-Eh bien..."

Le médecin expliqua à Charles que les jours du Roi étaient comptés plus que jamais. Il avait eu une attaque dans la nuit qui l'avait terriblement fragilisé. A le voir, il avait l'air d'aller bien mais il était évident qu'il se forçait à ne pas paraître trop misérable, seulement par fierté. Caelia n'aurait donc que très peu de temps pour lui donner sa réponse définitive mais elle n'en aurait pas vraiment pour apprendre à le connaître. En raccrochant, Charles fit quelques pas dans le salon. Devrait-il l'annoncer à Caelia dès ce matin ou valait-il mieux attendre encore un peu afin de ne pas la brusquer dans sa décision?

Après être allée chercher ses vêtements, Caelia entra dans la douche et fit couler un petit moment l'eau sur son dos avant d'entreprendre de se laver. Bien qu'elle adorât rester ainsi, elle était bien trop tourmentée pour profiter de ce petit moment de bonheur. Au dernier moment, elle choisit de ne pas se laver les cheveux puisqu'elle l'avait fait la veille. Au vu de la masse qu'elle avait, il lui faudrait près d'une heure pour les mettre en forme.

*Ce n'est guère le moment de traîner…*

Une fois lavée et séchée, elle enfila un jean léger blanc, une chemise blanche sur laquelle elle passa un gilet de costume noir. Le tout était simple mais classique. Aux pieds, ses ballerines de la même couleur que son ensemble. Un coup d'œil vers le miroir, lui renvoya l'image d'une jeune femme à l'allure simple mais gracieuse. Ses cheveux formaient un halo de feu autour d'elle.

Lorsqu'elle sortit enfin, attachant son collier ethnique autour de son coup, Caelia manqua de rentrer en collision avec Charles. Celui-ci avait une mine anxieuse mais ne lui parla pas et entra dans la salle de bain à son tour.
Etonnée, Caelia le suivit du regard avant de se rendre dans sa chambre pour y prendre son sac avant d'en ressortir et l'attendre près de la fenêtre.

Allant dans la salle de bain à son tour, Charles ouvrit le robinet d'eau avant toute chose. Il se déshabilla devant le miroir brisé en se regardant en face. Son reflet multiple l'interpela mais il ne sut exactement pourquoi. Il lui donnait juste une drôle d'impression. Charles était l'un des rares à ne posséder aucune cicatrice réellement visible. Il n'en avait que deux, l'une de son appendicite et l'autre d'une balle de gros calibre qu'il avait reçu dans l'épaule en raison de son imprudence.

Sous l'eau froide, Charles en profita pour s'étirer les muscles. Il avait très peu bougé au cours de cette nuit puisqu'il avait promis à Caelia de rester à ses côtés jusqu'à son réveil. Quand ils seraient prêts, ils partiraient pour le château afin de s'entretenir avec le Roi à propos de la succession au trône d'Aden. Le jeune homme pensa alors que ce serait l'occasion de demander au monarque s'il savait quelque chose au sujet de la situation des Vezziano en Italie puisqu'il était un vieil ami du chef de famille.

*Je doute qu'il ait été mis au courant de quoi que ce soit avec son état mais on ne sait jamais.*

Après s'être lavé et rincé, Charles prit une serviette afin d'éponger l'eau qui ruisselait sur sa peau. Il avait le teint pâle, caractéristique des anglais, car il parvenait difficilement à bronzer. Quand il prenait trop le soleil, c'était un coup de soleil qu'il récoltait plutôt. S'habillant d'un pantalon et d'une chemise noire, il noua une cravate de soie blanche autour de son col et glissa dans la poche de sa chemise une étoffe assortie. Aujourd'hui, il ne mettrait pas de veste car il ferait assez chaud. Charles quitta ensuite la salle de bain après s'être coiffé. Il n'avait pas pris la peine de se raser, jugeant que cela pouvait attendre un jour de plus car il n'avait pas une pilosité excessive. Sur lui, cela ne donnait pas un air négligé mais plus mature disons. Comme il était blond, ce n'était pas des plus visible au premier coup d'œil.

"Caelia, es-tu prête à partir?"

Charles s'approcha de la jeune femme, appréciant ses cheveux lâchés autour de son visage. Il la trouvait plus jolie quand elle gardait sa chevelure détachée. Passant instinctivement ses doigts dans ses cheveux, le jeune homme remarqua qu'il avait difficilement pu s'en empêcher, il s'était habitué à la proximité qui s'était installée entre eux. Au début, il s'était senti maladroit mais cela ne le préoccupait plus.

Pendant que Charles s'apprêtait, la jeune fille laissait son esprit divaguer au loin. Rien ne venait perturber le calme sauf une chose. Une chose qu'elle se souvint à l'instant de ne pas avoir aborder avec le comte. Une chose qui, à ses yeux, était importante. Voilà maintenant près de deux semaines qu'ils vivaient ensemble et avaient créé des liens. Elle appréciait cette proximité qu'ils avaient mais qu'adviendrait-il de cela si elle acceptait son titre.
Elle serait dès lors obligée de vivre au Palais, loin du jeune homme. Elle serait seule dans cet immense château avec pour compagnie ses pensées et les fantômes. Malgré le fait qu'elle apprécia être seule, vivre au château l'abattait.

*Ce n'est pas comme si je pouvais compter sur ma famille. Cette famille qui me déteste tant et qui ne désire que ma disparition…*

Tout en soupirant, la jeune fille se passa la main sur sa nuque. Un petit détail la fit sourire lorsqu'elle aperçut son reflet dans la vitre. Il y avait quelques années de cela, juste avant son entrée à l'université, ses amies et elle s'étaient rendues dans un salon de tatouages. A chaque étape importante de leur vie, celles-ci avaient décidé de le graver comme il était coutume de le faire dans les temps anciens. Elles possédaient dès lors chacune deux souvenirs sur leurs peaux. Celui sur sa nuque, dessiné avec discrétion, avait pour image quelques petits papillons stylisés. Un simple contour. Rien de plus. Ceux-ci ne se voyaient qu'au moment où ses cheveux étaient relevés en chignon haut et jusqu'à présent, ils n'avaient jamais été à découvert. L'autre en revanche était un peu plus grand et reposait au creux de ses reins. Un troisième avait été mis sur le tapis à l'évocation de leurs diplômes. Tristement, elle pensa qu'elle n'aurait jamais plus l'occasion de faire tout cela.

Lorsque Charles entra dans son champ de vision, Caelia ne fit pas mine de se tourner. Elle se sentait si bien ici qu'elle n'avait plus envie de sortir bien que ce fût elle qui avait émis le désir d'y aller.

"En toute vérité, je n'ai plus envie mais…"

Elle soupira tout en se retournant.

"Allons-y"

Tristement, elle se détacha de lui. Sa mèche de cheveux s'échappant d'entre les doigts de Charles et parti s'installer dans la voiture. Le jeune homme la rejoignit aussitôt avoir verrouiller la porte d'entrée et démarra rapidement. Il sembla que celui-ci roulait plus vite que d'habitude. Peut-être voulait-il au final se débarrasser d'elle. Il l'oublierait et retrouverait son quotidien. Quinze minutes plus tard, ils arrivèrent au Palais. C'est avec un masque composé sur son visage qu'elle le suivit à travers le dédale de couloirs.

Tenant visiblement son arme dans un fourreau attaché à la ceinture de son pantalon, Charles avançait aux côtés de Caelia d'un œil observateur. En ce lieu, il estimait que le danger était partout. Les deux jeunes gens ne s'était pas adressé un mot depuis qu'ils avaient quitté la maison, aussi la tension s'en ressentit.

*Que prévoit-elle de dire au Roi? Je ne peux m'empêcher de redouter le pire.*

Quant à Charles, lui aussi avait des choix à faire. Il devenait plus décidé à chaque minute, convaincu qu'il était temps pour lui de faire face à la famille Vezziano et de réclamer sa liberté. Il ne désirait pas être à Aden car on le lui avait ordonné, mais parce-qu'il le souhaitait. Aux yeux d'Emilio, cela ne ferait pas de différence tant que son fils faisait ce qu'il lui disait de faire mais ce dernier ne voyait pas la chose du même œil.

*Mais avant d'atteindre Emilio, il me faudrait passer sur le corps de nombreux membres de la famille. Or, cette affaire ne concerne que lui et moi. Je préfèrerais éviter les morts inutiles. Je dois bien parvenir à trouver une solution...*

Mais si Charles devait partir un moment, qui s'occuperait de la protection de Caelia? L'endroit où il aurait à se rendre serait bien trop dangereux pour elle, c'était déjà suffisamment un coupe-gorge pour lui... Devant la porte de la chambre du Roi, le jeune homme se tourna vers la princesse.

"Es-tu certaine de vouloir le voir aujourd'hui? Nous pouvons encore faire demi-tour si tu as le moindre doute."

En prenant un peu de recul, Charles se trouva anormalement soucieux. Était-ce un pressentiment ou seulement le résultat de la fatigue qu'engrengeait la nuit blanche qu'il venait de passer?

Alors qu'ils allaient s'annoncer, Charles se tourna vers elle, le regard plutôt inquiet. Confiante, la jeune femme se tourna vers lui et lui serra fugitivement la main.

"Pourquoi tourner les talons alors que nous sommes là. Un jour de plus ne changera rien sur ce que j'ai décidé et, ce n'est pas mon genre de prendre la fuite."

Caelia secoua la tête et ses longues boucles sautèrent sur ses épaules. Se tenir devant cette porte la confortait dans son idée. Elle n'avait pas à regarder derrière ni regretter ce qui a pu naître de ces huit jours. Ce qui sera fait, sera fait.

"Cesse donc de t'inquiéter et pense à toi. Je crois que ton cas est bien plus important que le mien. Après tout, j'existe contrairement à toi qui ne vas que commencer…"

Enfin le Valet arriva pour les annoncer et la tête haute, la jeune femme entra dans la pièce, saluant d'une révérence de Roi. Celui-ci avait une mine affreuse bien qu'il tentait de montrer le contraire. D'un coup d'œil, elle remarqua le visage anxieux de la personne qui lui tenait compagnie.

"Votre Majesté, je vous souhaite le bonjour et vous prie de m'excuser de mon arrivée imprévue."

Un large sourire amusé éclaira les traits du Souverain et d'un geste de la main, il lui fit signe de s'approcher. De l'espoir illuminait ses pupilles. Sans un mot alors, elle sortit son enveloppe et la lui tendit avant de baisser ses yeux.

La lettre de Caelia avait été écrite formellement et ne laissait rien entrevoir de ses sentiments pour Charles.

Citation :: Majesté,
[…]
Voici donc les conditions que j'émets avant d'accepter ce rôle qui m'a été demandé :

- Obtention du diplôme. A savoir qu'il reste deux ans à la Princesse Caelia pour l'obtenir. Proposition donc de l'avoir en un an et de suivre ses cours et passer les examens par l'email. Il va de soi que ceci se passera durant son temps libre et que cela n'entravera pas son apprentissage pour devenir…
- Pas de mariage arrangé. Le futur mari sera désigné par la Princesse Caelia et non par autrui et ce, même pour le bien du pays. Si la jeune femme ne trouve pas de prétendant valable, elle autorisera alors une démarche visant à l'adoption pour la succession future du royaume.
- Charles Ashworth n'étant pas à la hauteur, il serait préférable de le renvoyer et le remplacer.
[…]

Caelia attendit que le Roi ait terminé sa lecture pour prendre la parole.

"Je suis au regret de vous annoncer que ce ne sera qu'à ces conditions que j'accepte de vous succéder. Si l'une d'entre elles est refusée, je suis alors dans l'obligation de retourner chez moi. Si dans le cas contraire, elles sont acceptées, il faudra alors que cela soit acté et signé. Si par la suite, l'une des clauses venaient à se rompre, je renoncerai au trône…car ce n'est pas comme si il manquait de prétendants. "

La jeune fille se leva alors, fit une nouvelle fois une révérence et sortit de la pièce sans un regard pour le comte.

Après le départ de Caelia, le Roi se mît à observer Charles d'un œil inquisiteur. Ce dernier restait stoïque et soutenait le regard du souverain, il jugeait n'avoir rien à se repprocher. Finalement, le Roi soupira et interrogea le jeune homme d'un air amusé.

"Il semble que vous ne fassiez pas du bon travail. Ma petite-fille exige que je vous renvoie. Auriez-vous eu un comportement déplace à son encontre?"

Charles ne pût s'empêcher de sourire. Il s'était toujours comporté en véritable gentleman avec Caelia, et ce depuis le premier jour.

"Je ne me le serais jamais permis, Votre Majesté. Mais si telle est sa requête, je quitterai alors Aden.
-Comment? Si vous partez, ma petite-fille va...
-Dans le milieu, il y a deux personnes que nous surnommons les Bouffons de Belfast, ce sont des spécialistes en matière de protection. Je les contacterai pour la princesse, ils me doivent bien cela."

Le Roi était décontenancé par les propos du jeune homme. Il avait accepté l'exigence de Caelia si rapidement alors que cette mission avait été un ordre d'Emilio Vezziano, l'homme à qui on ne refusait rien. Charles quitta la pièce à son tour, laissant le monarque bouche bée et néanmoins inquiet malgré la promesse du jeune anglais de perpétuer la protection de sa petite-fille bien-aimée.

*Je ne peux plus faire marche arrière. Je vais retourner à Venise et avoir une discussion avec Emilio.*

Dans l'antichambre, Caelia se tenait près d'une fenêtre et contemplait les jardins du château. Charles ne se dirigea pas immédiatement vers elle. Il se mît d'abord à l'admirer. Il n'allait peut-être plus jamais la revoir. L'idée de la mort ne lui faisait pas ressentir la moindre peur mais quelque part, l'idée de ne plus être à ses cotes ne le laissait pas indifférent.

Une fois sortie de la chambre, la jeune fille ne put faire trois pas sans sentir battre son cœur à toute vitesse. Elle s'arrêta alors, face à une fenêtre, attendant que celui-ci se calme. Les dés avaient été jetés. Tout résidait dans la soumission des deux êtres qui se trouvaient derrière cette pièce.
Elle n'avait osé regarder Charles en sortant, sachant que dans le cas contraire, ses sentiments auraient transparu. Elle désirait ardemment l'avoir à ses côtés mais elle ne pouvait le retenir comme un oiseau en cage, lui qui avait si longtemps vécu de cette manière. Caelia désirait qu'il prenne la décision par lui-même. Qu'il se rebelle contre la décision qu'elle avait soumise mais elle savait qu'il n'en ferait rien. Il obéirait comme il l'avait toujours fait.

La jeune femme soupira et son front vint se poser sur le vitrage.

*A mon tour de vivre comme un oiseau en cage…quelle ironie. *

Elle ne laissa néanmoins pas le temps à la tristesse de l'envahir et se redressa. Son regard se porta alors sur le jardin qui s'étendait sous ses yeux. La brume s'était enfin dissipée et relevait des merveilles à la jeune fille. Le printemps s'était installé il y'a peu et déjà apparaissait les signes de celui-ci. De magnifiques rosiers s'étendaient à perte de vue, longeant un labyrinthe aux hautes haies. Voilà enfin une chose intéressante dans ce palais. Une chose qu'elle pourrait explorer lorsqu'elle souffrirait de solitude.
Derrière elle, une porte s'ouvrit pour se refermer aussitôt et bien que la silhouette du comte se reflétait, elle ne fit pas le moindre geste pour le rejoindre.

*Il doit me haïr à présent…mais c'est peut-être mieux ainsi.*

Parcourue d'un frisson, la jeune femme passa ses mains sur ses bras. Un contact qui n'était pas celui qu'elle aurait aimé.

De loin, chacun plongeait son regard dans celui de l'autre, comme s'ils savaient ce qui allait se produire. Mû par le désir personnel de protéger Caelia, Charles sortit son téléphone de sa poche et composa un numéro qu'il connaissait par coeur.

"Qui est le grand malade qui ose me réveiller à cette heure-ci?
-Charles.
-Charles Vezziano?! Hey, ça roule ma poule?
-Sois à l'aéroport d'Aden ce soir.
-Aden? Qu'est-ce que c'est?
-Ne sois pas en retard, je te prierai de faire passer le mot à ton frère jumeau.
-Euh..."

Puis Charles raccrocha sans ajouter le moindre mot, laissant son interlocuteur médusé par la soudaineté de son appel. Le jeune anglais n'était pas du genre à appeler pour parler de la pluie et du beau temps.

*Avec eux, je n'ai plus besoin de me préoccuper de la sécurité de Caelia. Elle ne pourrait être confiée entre de meilleures mains.*

Il s'approcha finalement de la princesse. La présence de quelques personnes dans l'antichambre, comme des gardes royaux et des conseillers, l'empêchait de se permettre le moindre geste d'affection envers elle. Ce n'était pas le moment de faire courir des rumeurs au sujet de la future reine d'Aden. Il garda néanmoins l'emploi du tutoiement en prenant soin de chuchoter afin de ne pas choquer les oreilles indiscrètes.

"Comme selon ton désir, je quitte Aden dès ce soir."

Sa déclaration sonna comme une annonce très grave. Pourtant, la voix de Charles était claire, même s'il souhaitait rester au fond de son cœur.

"Mais sache que j'ai bien l'intention de revenir. Samedi prochain, dans huit jours, un avion atterrira à vingt heures tapantes. Si je ne descends pas de cet avion, alors ne m'attend plus. Je te demanderai seulement de m'attendre durant ces huit jours."

Fixant son regard vers la somptueuse vue qu'offraient les jardins, il continua.

"Je préfèrerais ne pas te confier ce que je ferai pendant ces huit jours afin que tu te concentres sur tes propres devoirs à Aden. Quoi qu'il en soit, de très bonnes personnes de confiance s'assureront de ta protection pendant ce temps. Ils sauront se montrer bien plus humains et plus divertissants que moi."

Charles désirait exprimer son regret de devoir la laisser ici en raison du danger que représentait sa prochaine visite à Venise. Seulement, les mots lui manquaient. Il n'avait nullement pour habitude de tenir de tels propos.

"Je te promets de tout faire pour ne pas rater mon vol de retour."

Alors que les gardes et conseillers restaient à proximité de la Princesse, celle-ci prit la décision de faire valoir ses droits. Gentiment, elle leur demanda de les laisser seuls un instant. Désirant s'entretenir avec lui sans avoir à chuchoter, elle ne pouvait faire que cela puisqu'elle ne tarderait pas à rejoindre son grand-père. D'abord ennuyés par la requête de la jeune femme, ils jetèrent un coup d'œil vers le comte avant de se retirer silencieusement. Suite à cela, Caelia fit enfin face à Charles.

"Ce n'est pas mon désir de te voir quitter Aden, Charles et tu le sais. Mais, je ne vois que cette façon pour que tu puisses vivre comme tu l'entends. Ce serait égoïste de ma part de vouloir te garder auprès de moi alors que tu n'es pas totalement libre."

Délicatement, la jeune femme caressa du revers des doigts la douce joue du Comte.

"Ne mets pas de limite dans le temps. J'ai peur que tu ne presses les choses simplement pour revenir ici. Prends ton temps et reviens moi. Je t'attendrai de toute façon. Il n'y a pas d'autre personne que je ne désire le plus à mes côtés."

Caelia blottit alors contre lui, l'enlaçant avec tendresse. Son oreille percevait nettement les battements du cœur de Charles. Ceux-ci battaient de façon désordonné. Une première pour quelqu'un qui avait pour habitude de se réguler. Est-ce que ses mots l'avaient touché ? Elle qui n'avait alors pas avoué concrètement son amour envers lui?

"Promets moi seulement une chose. Si jamais les choses tournent mal, alors arrête tout et oublie moi. Je préfère te savoir en vie et loin de moi plutôt que d'apprendre ta mort. Car après tout ce que tu m'as dit, et à moins d'un miracle, je n'ose espérer ton retour."

La jeune fille releva alors son visage et approcha doucement ses lèvres du jeune homme pour l'embrasser délicatement.

Charles prit conscience qu'il se devait de redevenir l'être rationnel qu'il était en tant que membre de la famille Vezziano. Alors que Caelia déposait un tendre baiser sur ses lèvres, il garda les siennes fermées. Ne connaissant pas très bien la parcelle d'humanité qu'il s'était récemment découvert, il préférait ne pas la laisser prendre le dessus sur sa raison et anéantir sa résolution.

"Une semaine me suffira. De plus, je ne peux pas faire dans la demi-mesure. Emilio ne me pardonnera jamais mon départ. C'est comme une trahison envers la famille."

Le jeune homme serra le poing mais aucune émotion n'apparaissait sur son charmant visage.

"Même à mes yeux, mes actes futurs sont une trahison. Je me considère pleinement comme un Vezziano et renier ma famille ainsi que mon nom m'apparaît comme un crime."

En effet, Charles s'appelait Charles Vezziano depuis son adoption mais il n'avait pas néanmoins menti lorsqu'il avait indiqué à Caelia qu'Ashworth était son véritable nom de famille puisqu'il s'agissait du patronyme de ses parents anglais.

Lorsque la jeune femme avait senti les lèvres fermées à son baiser, elle relâcha le jeune comte pour laisser pendre ses bras le long du corps. Il n'avait pas fallu longtemps pour que Charles redevienne celui qu'il était. Pire fût ses paroles prononcées peu après.
Celles-ci transpercèrent la jeune fille de part et d'autre, la blessant encore une fois. En l'espace d'une semaine, cet homme avait malmené son cœur comme personne ne l'avait fait encore.
Certes, elle pouvait comprendre le risque mais n'y avait-il pas d'autre manière pour s'exprimer ?

Caelia recula d'un pas, regardant sans rien dire l'homme pour qui elle avait éprouvé quelque chose. Son visage était fermé mais ses yeux exprimaient une tristesse sans limite.

*Pourquoi me tenir son petit discours si c'est pour ensuite me poignarder?*

Ses yeux perdirent de leur tristesse et firent place à une froideur sans égal. Silencieusement, elle se décala et marcha jusqu'à la porte qui menait vers le couloir.

"Ne te donne pas cette peine, Charles. Je n'ai pas besoin de toi. Nous n'avons pas besoin de toi. Désormais la famille royale n'aura plus à compter sur la famille Vezziano ou encore un Charles Ashworth."

Et c'est sur ces mots que Caelia quitta la pièce. Sous l'œil étonné des gardes, la jeune femme piqua un sprint à travers les dédales de couloir jusqu'à en être essoufflée. C'est ainsi qu'en ouvrant une porte au hasard qu'elle se retrouva dans une chambre qui avait grand besoin d'être nettoyé. Mais cela n'avait guère d'importance. Ici, seule, elle pouvait donner libre cours à son chagrin.

Charles demeura coi devant l'emportement de Caelia. Lorsqu'il se retrouva seul, il réalisa qu'il n'avait peut-être pas utilisé les bons mots pour expliquer sa situation à la princesse. Il aurait probablement mieux valu qu'il ne dise rien du tout à ce sujet. Elle et lui n'avaient pas du tout vécu de la même façon. Dans la vie de Charles, la violence et la corruption faisaient partie de son quotidien.

"Maintenant qu'elle est partie en courant, il va falloir que je la retrouve..."

Le jeune homme sortit son téléphone de sa poche et se servit d'une fonction que son frère William lui avait programmée spécialement pour cette mission. Il s'agissait d'une fonction GPS qui pouvait lui permettre de retrouver Caelia si jamais elle venait à s'enfuir ou à se faire enlever. De l'autre cote de la porte de la chambre du Roi, une quinte de toux résonna. Charles songea alors que le monarque ne devait plus en avoir pour très longtemps, et cela était sûrement la raison de son empressement à faire de Caelia la nouvelle reine d'Aden.

"Contrairement à moi, elle a une personnalité plutôt prononcée. J'ai comme l'impression que ce ne sera pas la dernière fois qu'il va falloir que je lui cours après de cette façon."

Il se mît à sourire à cette idée tout en partant à la recherche de sa princesse.

Une fois que ses larmes furent taries, Caelia se releva et examina les alentours. Elle se trouvait dans une pièce qu'elle jugea au premier coup d'œil, intéressante. La pièce, sans être surchargée, offrait une impression de chaleur, de tendresse. Les tons mélangeaient du mauve et du jaune. Certaines tapisseries s'ornaient de magnifiques arabesques de couleurs dorées.
Tout en marchant, la jeune femme laissait glisser ses doigts sur le mobilier.

*Cette chambre semble être figée dans le temps*

Apercevant un cadre de photos, posé non loin de là, la jeune fille décida de satisfaire sa curiosité en s'approchant. Petit pas par petit pas, elle pénétrait dans ce sanctuaire. Caelia avait réellement l'impression de violer ce lieu abandonné. Et alors qu'elle s'emparait avec respect du cadre, elle entendit un bruit. Vivement, elle se retourna, et se trouva face à Charles. Une fois la surprise passée, la jeune fille regarda du coin de l'œil la fenêtre sur sa gauche.

*Avec un peu de chance, elle ne sera pas condamnée…*

Puisque celui-ci avait réussi à la retrouver et qu'elle ne désirait plus avoir à faire avec lui, Caelia n'avait pas d'autre choix que de sortir de la pièce. Cependant, puisque celui-ci faisait barrage, il ne lui restait plus que la fenêtre. Un vieil et majestueux hêtre semblait l'attendre, ses branches tendues vers elle, lui permettant de s'y agripper.

Subitement, elle reposa le cadre là où elle l'avait trouvé et se précipita vers la fenêtre. Malheureusement, celle-ci était pourvue d'un vieux loquet qui refusait de se lever. Et tandis qu'elle s'obstinait dessus, elle ne remarqua pas l'arrivée du Comte.